Page:Sima qian chavannes memoires historiques v1.djvu/104

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d’enfantement porte alors ses fruits ; on jouit de l’héritage lentement accumulé par plusieurs générations.

L’empereur Ou exerça le gouvernement pendant cinquante-quatre années ; cette circonstance fut heureuse : les longs règnes ont cet avantage que, par l’unité de direction qu’ils impriment, ils permettent à toutes les forces latentes d’atteindre leur entier développement. En Chine en particulier, où le pouvoir est despotique, la mort du souverain est souvent l’occasion d’un bouleversement général ; il suffit d’une régence faible pour que le désordre s’introduise ; si un empereur se livre à la débauche, le royaume est ébranlé. A défaut de lois constitutionnelles qui assurent au gouvernement une certaine stabilité, il faut que la volonté du maître unique exerce sur les affaires une influence ferme et durable pour qu’on voie se produire cette discipline qui est aussi nécessaire aux nations que la règle morale aux individus.

Au moment où l’empereur Ou monta sur le trône, la dynastie dont il allait être le représentant avait grand besoin, pour affermir son pouvoir, de suivre une politique énergique et inflexible. Elle ne régnait que depuis une soixantaine d’années ; avant la brève dynastie Ts’in qui l’avait précédée, la Chine avait toujours vécu sous un régime féodal ; chaque province était un état, qui rendait sans doute hommage au Fils du ciel, mais qui jouissait en fait de la plus complète autonomie. Ts’in Che-hoang-ti renversa cet état de choses et concentra toute l’autorité entre ses mains ; mais il n’eut pas un successeur assez habile pour continuer son oeuvre colossale. Les premiers empereurs Han cherchèrent à la reprendre pour leur compte ; ils eurent soin de ne conférer le titre de rois qu’à des membres de leur propre famille, de peur que des étrangers ne vinssent à empiéter graduellement sur leur autorité ; malgré cette précaution, l’esprit particulariste des provinces subsistait LXXXIX-1 et ceux qui étaient


LXXXIX-1. Après avoir parlé de la révolte des rois de Hoai-nan et de Heng-chan, Se-ma Ts’ien dit: « La faute n’en fut pas seulement à ces rois ; c’est aussi parce que les moeurs de leurs pays étaient mauvaises ; leurs