Page:Sima qian chavannes memoires historiques v1.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dut avoir sur les destinées de ce royaume ; quelle rigueur dans la démonstration que « la façon de prendre et celle de conserver ne sont pas identiques » ; avec quelle connaissance du coeur humain il explique comment les peuples, fatigués des guerres civiles, acceptèrent volontiers le joug pesant de Ts’in Che-hoang-ti parce qu’un gouvernement fort leur paraissait un gage de paix et comment, même après avoir souffert des violences de leur nouveau maître, ils saluèrent avec joie l’avènement de son fils en qui ils espéraient trouver un souverain plus doux, « car lorsque le peuple est las, il est aisé de passer pour son bienfaiteur » ; enfin quels bonheurs d’expression n’a-t-il pas quand il dépeint l’ambition des princes de Ts’in qui projettent de « rouler comme une natte tout l’empire », de « fourrer dans un sac l’intérieur des quatre mers », on quand il dépeint Ts’in Che-hoang-ti « brandissant sa grande cravache pour gouverner le monde » et les sages qui, sous les menaces du tyran. « musèlent leurs bouches et ne parlent pas », ou, lorsque la révolte gronde de toutes parts, l’aventurier Tch’en Ché' qui, « en dressant le bras et en poussant un grand cri » fait accourir autour de lui des bandes armées « non d’arcs ni de lances, mais de bêches et de pioches et de perches sans fer. »

Il est assurément regrettable que Se-ma Ts’ien n’ait pas ces vives et impétueuses saillies que nous admirons chez son devancier. Mais il possède d’autres qualités qui, pour être plus humbles, ne doivent pas être méprisées. La première et la plus précieuse est sa curiosité infatigable qui va se renseignant d’ici, de là, ne négligeant aucune source d’informations ; elle nous a conservé plusieurs monuments très importants de l’antiquité : telles sont cinq inscriptions de Ts’in Che-hoang-ti d’une valeur considérable pour l’épigraphie chinoise CLX-1; tels encore trois modèles des lettres d’investiture, par lesquelles les empereurs de la dynastie Han conféraient


CLX-1. Cf. Mémoires historiques, chap. VI, et mon étude sur les inscriptions des Ts’in {Journal asiatique, 1893).