Page:Sima qian chavannes memoires historiques v1.djvu/252

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j’ai entrepris de mettre ma confiance dans mes paroles inhabiles ; j’ai réuni et coordonné toutes les anciennes traditions qui étaient éparses et comme perdues dans le monde ; j’ai examiné comment les affaires furent conduites ; j’ai recherché l’explication de leur réussite ou de leur échec, de leur succès ou de leur ruine ; j’ai fait en tout cent trente chapitres ; j’ai voulu, pour ma part, examiner complètement ce qui concerne le ciel et l’homme, comprendre l’évolution qui s’est accomplie depuis l’antiquité jusqu’à nos jours et en faire l’ouvrage d’un seul auteur. Avant que mon brouillon fût fini, je vins à être frappé par ce malheur ; j’aurais regretté de ne pas achever ma tâche ; c’est pourquoi j’ai subi le plus terrible des supplices sans m’en irriter. Quand j’aurai vraiment fini d’écrire ce livre, je le placerai sur la « montagne célèbre CCXXXVII-1 » pour qu’il soit transmis aux hommes capables de l’apprécier et qu’il pénètre dans les villes et les grandes cités. Alors j’aurai lavé la honte de mon ancien opprobre ; quand même j’aurais souffert dix mille humiliations, aurais-je lieu de le regretter ?

Cependant, si on peut donner cette explication aux personnes intelligentes, il est difficile de la faire comprendre au vulgaire. En effet, pour celui qui est jeté dans une condition vile et basse, il n’est plus de vie facile ; celui qui est tombé dans les rangs infimes, on l’accable de blâmes. C’est à cause d’une parole de ma bouche que j’ai été frappé par cette infortune ; je suis devenu pour mon pays natal un grand sujet de mépris et de moquerie. J’ai déshonoré mes ancêtres ; de quel front irais-je encore me présenter devant les tombes de mon père et de ma mère ? Même après cent générations, mon opprobre ne fera que s’accroître. C’est pourquoi mes entrailles se retournent neuf fois en un jour ; je suis chez moi et soudain il me semble qu’il me manque quelque chose ; je sors et je ne sais plus où aller. Chaque fois que je pense à cette honte, la sueur ne cesse pas de couler sur mon dos et de mouiller mes vêtements. Je suis devenu vraiment un serviteur des appartements des femmes ; il vaudrait mieux que je pusse reprendre ma personne et me cacher au plus profond des gorges montagneuses. Ainsi je me trouve, au gré du monde, élevé ou abaissé; suivant les circonstances, je me prosterne ou je lève la tête, de manière à me conformer à l’arrogance et à la stupidité du vulgaire. Or vous m’invitez, Chao-k’ing, à introduire les sages et à


CCXXXVII-1. Cf. p. CXCVIII, n. 6.