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cas et dans tous les temps ; il n’est pas de morale plus aisée à pratiquer que la morale taoïste.

Il n’est pas non plus de philosophie plus tolérante. En s’identifiant avec le Tao, le penseur reconnaît que dans le monde on peut soutenir aussi bien que tout est vrai et que tout est faux, que rien n’est vrai et que rien n’est faux. Les propositions les plus opposées ne sont contradictoires qu’en apparence ; on peut les concilier en se plaçant au point de vue de l’éternel devenir. C’est pourquoi les spéculations des philosophes hétérodoxes eux-mêmes renferment toujours une part de vérité. La critique que Se-ma T’an a faite des cinq écoles, en montrant ce qu’il fallait conserver dans chacune d’elles, prouve qu’il avait bien compris le sens de ce merveilleux second chapitre de Tchoang-tse où se trouve exposée en un langage platonicien la conciliation des contradictoires.

Si les opinions philosophiques de Se-ma T’an nous sont bien connues, sa vie reste obscure. Il est probable d’ailleurs qu’elle ne présenta rien de remarquable et qu’il la partagea entre ses devoirs professionnels et ses travaux historiques. Nous savons du moins qu’il mourut en l’an 110 avant notre ère à Lo-yang. Les circonstances où on se trouvait alors lui firent regretter de quitter la vie. En ce temps, l’empereur Ou régnait depuis trente ans ; il avait conquis une réputation immense par les succès qu’il avait remportés sur tous les peuples voisins ; il avait étendu les limites de l’empire fort au delà des frontières dans lesquelles ses devanciers avaient dû se restreindre ; il avait favorisé les lettres et les arts ; le prestige du royaume du Milieu était à son apogée. Pour consacrer en quelque sorte sa gloire, il résolut d’instituer une cérémonie solennelle qui la ceignît d’un nimbe divin. Or des écrits anciens parlaient en termes vagues de deux sacrifices, l’un appelé fong qu’on offrait au ciel ; l’autre nommé chan qui s’adressait à la terre ; dès les temps les plus reculés, disait-on, les souverains les avaient accomplis. Quels avaient été leur sens et leur importance, c’est ce que les légendes sont impuissantes à nous apprendre ;