Page:Sima qian chavannes memoires historiques v1.djvu/75

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exalte la valeur absolue. Les concepts de bonté et de justice que quelques critiques trop sévères lui ont reproché de mépriser il les tient au contraire en haute estime. Parlant des seigneurs qui vécurent au temps des empereurs Hoei et King, il dit : « Pour tous j’ai dressé le tableau, depuis le commencement jusqu’à la fin, des illustres exemples par lesquels la bonté et la justice se sont glorieusement réalisées à cette époque LX-1. » Dans un autre chapitre il dit : « Quand bien même on est dans une situation où on possède la puissance, l’essentiel est encore de se fonder sur la bonté et sur la justice LX-2. » On ne saurait d’ailleurs prétendre que c’est Se-ma T’an et non son fils qui tient un tel langage car, dans cette dernière citation, Se-ma Ts’ien, par une dérogation à ses habitudes de style, se désigne par son nom personnel.

Il ne faut voir aussi qu’une boutade dans le passage où l’existence de la Providence est mise en doute. Assurément Se-ma Ts’ien n’est pas une âme dévote ; ses fonctions de grand astrologue l’ont mis en rapport trop direct avec les devins et les prieurs pour qu’il n’ait pas percé leur masque ; il ne se laisse plus prendre à leurs grimaces et n’admet guère le surnaturel. Son bon sens l’empêche de croire à tous les prodiges auxquels l’empereur et sa cour ajoutaient foi. Toutefois il croit reconnaître que les événements de cette terre sont soumis à une loi céleste ; si l’intervention spéciale des dieux dans tel ou tel prétendu miracle est inadmissible, il ne peut se refuser à penser que l’histoire du monde est gouvernée par une Puissance suprême. Les chutes des empires et les avènements des dynasties sont des faits si considérables que l’esprit humain se perd à vouloir en démêler les raisons ; l’explication qu’on en donne est toujours si disproportionnée à l’événement qu’il peut paraître à première vue légitime de chercher une cause première qui ait elle-même préparé et disposé toutes les causes secondes en vue du but final. Comment se fait-il que le


LX-1. Mémoires historiques, chap. XIX, p. 1 r°.

LX-2. Mémoires historiques, chap. XVII, p. 2 r°.