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faible royanme de Ts’in soit devenu petit à petit si puissant qu’il ait fini par conquérir tout l’empire ? « Ce n’est pas sans doute à cause de l’avantage que lui donnait sa situation favorisée et difficile d’accès ; mais c’est qu’il fut comme aidé par le Ciel LXI-1. » La fortune du fondateur de la dynastie Han est plus prodigieuse encore ; Kao-Tsou n’était qu’un homme du peuple, non un seigneur comme Ts’in Che hoang-ti, et cependant il obtint la dignité impériale ; la cause d’une élévation si subite, « comment ne serait-ce pas e Ciel ? comment ne serait-ce pas le Ciel LXI-2 ?»

Il importe de remarquer que toutes ces réflexions semées ici et là dans les Mémoires historiques n’influent en rien sur le récit des faits ; il ne faudrait pas les prendre pour des principes philosophiques d’après lesquels s’orienterait la marche même de l’histoire ; elles constituent un élément distinct que l’écrivain surajoute à son travail une fois terminé. L’âme d’un Thucydide et celle d’un Tacite vibrent dans leurs oeuvres entières et en animent toutes les parties de la vie qui leur est propre ; Se-ma Ts’ien au contraire se borne à compléter par de courtes appréciations personnelles des narrations anonymes auxquelles il se ferait scrupule de rien changer.

Même lorsqu’il s’agit d’événements dont Se-ma Ts’ien aurait pu être le témoin, il nous est le plus souvent très difficile de savoir s’il est l’auteur original de ce qu’il écrit ou s’il ne fait que reproduire des textes déjà existants. A le bien considérer d’ailleurs, il n’est pas essentiel de pouvoir établir cette distinction ; rien n’est plus impersonnel que le style des Mémoires historiques lorsqu’ils traitent du temps présent ; Se-ma Ts’ien n’est que le porte-parole de son époque et tout ce qu’il dit est beaucoup moins le résultat de ses réflexions et de ses observations individuelles que l’expression de ce que ses contemporains ont relaté ou pensé. C’est donc le siècle de l’empereur Ou qu’il faut étudier si on veut comprendre les parties qu’on pourrait appeler modernes des Mémoires historiques.


LXI-1. Mémoires historiques, chap. XV, p. 1 v°.

LXI-2. Mémoires historiques, chap. XVI, p. 1 v°.