Page:Sima qian chavannes memoires historiques v2.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

oublia de revenir[1]. Le roi Yen, de Siu, fit des

  1. On a coutume, depuis Pauthier, d’invoquer à propos du voyage du roi Mou un passage de l’Historia Sinensis faussement attribuée à Beidawi (cf. Terrien de Lacouperie, Western origin of the early Chinese civilisation, notes 171 et 171 additionnelle) ; on en veut tirer une preuve que la légende chinoise se retrouve sous une forme persane. Rappelons d’abord que le texte persan publié et traduit en latin par André Müller en 1677 et attribué par lui à Beidawi (Abdallae Beidavaei Historia Sinensis) est en réalité le huitième livre de l’ouvrage de Benaketi ; c’est Quatremère qui, le premier, a mis ce point hors de doute ; l’ouvrage de Benaketi n’est qu’un abrégé, écrit en 1317 après J.-C., de la grande histoire de Rashid ed-din (cf. Sir H. M. Elliot, The history of India as told by its own historians, vol. III, pp. 55-56). Voici maintenant le passage de la traduction d’André Müller qui traite du voyage du roi Mou (Historia Sinensis, 2e édition, Iena, 1689, pp. 43-45) : « Porro Gai-vango Movang rex succedebat. Huic Emirius erat, Zacu nomine. Qui praeclara exequebatur opera. Mandato, exempli gratia, regis, in carpentum se dabat. Quod sex equi trahebant, de die centum parsangas cursu conficientes. Sic, ut terrarum conditionem exploraret, et ultro citroque means Regi deferret. In nostram etiam Persidem terrasque Iran venit. Cujus itidem statum et temperiem, quae ibi est aëris, regi aperuit. » Pour quiconque a le moindre sens de ce que c’est que la critique historique, il est évident que ce passage n’est qu’une traduction plus ou moins altérée d’un texte chinois ; quant à la phrase : « il parvint même jusque dans notre pays de Perse et dans les régions de l’Iran, c’est une simple glose introduite soit par Rashid ed-din, soit par Benaketi. Il est impossible de voir dans ce passage, comme le veulent MM. Pauthier et Terrien de Lacouperie, l’écho d’une tradition d’origine persane qui, étant indépendante de la tradition chinoise, la confirmerait d’une singulière façon. M. Terrien de Lacouperie adopte encore une autre hypothèse de Pauthier qui n’a pas plus de valeur que la précédente. Dans le p.7 Modjmel al-Tewarikh (composé en 1126 ap. J.-C.), on lit une phrase que Mohl (Journal asiatique, 1841, 1er volume, p. 155), traduisait ainsi : « Il (Djemchid) eut de Peritchehreh, fille du roi du Zaboulistan, un fils nommé Tour, et de Mahenk, fille du roi de Madjin, deux autres appelés Bétoual et Houmayoun. M. Pauthier fit observer, avec raison d’ailleurs, qu’il fallait traduire : Djemchid… » eut deux autres fils d’une fille de Mahenk, roi de la Grande-Chine, dont l’un se nomma Bétoual et l’autre Houmayoun. (Histoire des relations politiques de la Chine avec les puissances occidentales, Paris, 1849, pp. 14-15). M. Pauthier triomphe de cette correction et s’en sert pour échafauder tout un roman : « Ce Mahenk, roi de la Grande-Chine, était Mou-wâng, qui régna de l’année 1001 à l’année 946 avant notre ère, et qui, selon les historiens chinois, fit la guerre aux barbares occidentaux (de l’Asie) qu’il réduisit à la dernière extrémité. Ceux-ci lui donnèrent en tribut de grands sabres à deux tranchants et des étoffes d’amiante. Il fit ensuite un voyage dans l’Asie occidentale où il admira de grandes merveilles d’art (probablement les monuments de Ninive et de Persépolis ; la construction de ces derniers étant attribuée en partie à Djemschid). Quelle est l’occasion de cette débauche d’imagination ? C’est uniquement l’analogie douteuse qu’on peut découvrir entre les noms de Mou-wang et de Mahenk ; on ne remarque pas que les récits relatifs à Djemchid appartiennent au domaine de la légende, on ne s’aperçoit pas que les Fils du Ciel ou Fagfours sont mentionnés fréquemment dans l’épopée persane sans que jamais on puisse établir un synchronisme certain avec l’histoire de Chine, et, sur une prétendue équivalence entre Ma et Mou et henk et wang, on déclare qu’il est prouvé par un merveilleux accord entre les textes chinois et persans que Mou-wang vint en Perse et donna sa fille en mariage à Djemchid ! Les principaux textes antérieurs à Se-ma Ts’ien, dans lesquels il est question de la légende du roi Mou, sont le Mou ts’ien tse tchoan (cf. tome I, note 04.337) et le IIIe chapitre de Lie tse, qui ne fait guère que reproduire une partie du premier ouvrage. Dans ces textes, le nom de Si-wang-mou est mentionné ; mais il est le nom d’une tribu barbare de l’ouest et n’a pas plus d’importance que les autres noms géographiques cités dans la relation du voyage (cf. Eitel, China Review, vol. XVII, p. 233, note) ; le roi Mou visite le chef Si-wang-mou, de même que plusieurs autres princes de l’ouest, mais ce n’est pas cette visite qui semble être le but de son voyage ; en outre, rien dans ces textes ne peut faire supposer que Si-wang-mou soit une femme. On remarquera que Se-ma Ts’ien passe complètement sous silence le nom de Si-wang-mou. Dans les Annales écrites sur bambou (cf. Legge, Chinese Classics, tome III, Prolégomènes, pp. 150-151), on lit seulement ceci : « La dix-septième année de son règne, le roi alla faire une expédition guerrière dans l’ouest et arriva jusqu’au mont Koen-luen ; il rendit visite à Si-wang-mou ; cette même année, Si-wang-mou vint lui rendre hommage et fut reçu comme un hôte dans le palais Tchao. » A une époque plus tardive, le nom de Si-wang-mou ne fut plus compris comme une simple transcription phonétique d’un mot étranger ; on interpréta chacun des caractères qui le composent et on en fit « la mère reine d’Occident » ; c’est alors que toutes les légendes relatives à la mère reine d’Occident s’agrégèrent à la tradition du voyage du roi Mou dans l’ouest. On peut aller plus loin, si le personnage appelé Si-wang-mou n’est pas essentiel dans le récit du voyage, le roi Mou lui-même ne l’est pas davantage. Dans les Annales principales des Tcheou (cf. tome I, note 04.337. ), Se-ma Ts’ien ne mentionne pas ce voyage lorsqu’il raconte le règne du roi Mou ; il en parle au contraire dans les Annales principales des Ts’in ; cela signifie, puisque Se-ma Ts’ien n’est jamais qu’un compilateur, que le récit du voyage était une tradition inconnue dans les chroniques du pays des Tcheou et qu’elle a eu son origine dans le pays de Ts’in. Quel est en effet le noyau de la légende ? C’est Tsao-fou et son attelage de chevaux merveilleux dont on a conservé les noms étranges. Mais comme Tsao-fou passe pour avoir vécu au temps du roi Mou, les érudits ont rapproché le voyage dans l’ouest du nom de ce roi. C’est ainsi qu’une légende qui prit naissance dans le Chàn-si à une époque où les habitants de l’État de Ts’in étaient encore barbares, a été d’abord rattachée artificiellement à l’histoire du royaume du Milieu en vertu d’une prétendue concordance chronologique entre Tsao-fou et le roi Mou, puis s’est grossie de toutes les fables qui se sont formées autour du contre-sens commis sur le nom de Si-wang-mou. [css : sur le voyage du roi Mou, on pourra consulter dans le Journal asiatique, deux articles postérieurs de Léopold de Saussure : Le voyage du roi Mou au Turkestan oriental, 1920, Sér. 11, T. 16, pp. 151-156. — La relation des voyages du roi Mou [au X e siècle av. J.-C. ], 1921, Sér. 11, T. 17, pp. 247-280].