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GASTON CHAMBRUN

grand’peine contenus, qui bouleversaient son cœur, torturé.

— Ah ! s’écria Monsieur Richstone d’un ton amer, ce qu’il me coûte cher ce Gaston Chambrun !

— Oh ! Père, ne sois pas injuste !… Surtout ne garde pas rancune à Marie-Jeanne et à son fiancé… Je t’assure, je n’étais pas faite pour le mariage. Sans doute, quand j’ai rencontré Gaston, en fillette qui ne sait rien, j’avais incarné en lui le rêve de mes seize ans. Mais depuis, une autre voix s’est fait entendre : celle du remords.

— Du remords ?… Que veux-tu dire, ma fille ?… Quel crime ta conscience pourrait-elle avoir à se reprocher, toi que nous avons toujours connue si douce et si bonne ?…

— Je vais tout vous dire, mon père, car l’heure est venue de vous révéler mon secret. Si je n’ai pas voulu vous le dévoiler plus tôt, c’était afin d’épargner à vos cœurs la déchirure qu’il va y faire. Déjà je n’ai que trop tardé et aujourd’hui par les événements, la Providence me met en demeure de lui prouver ma sincérité.

— Mon enfant, je ne comprends pas où tu veux en venir.

— Mon Père, je m’explique :

— Vous avez encore présent à la mémoire, le souvenir de la fameuse journée où, en compagnie de Gaston Chambrun et de son père, nous fîmes cette partie de pêche qui faillit me coûter la vie. Quant à moi, cette heure tragique, jamais ne s’effacera de mon esprit. J’en revois toutes les circonstances avec la même netteté de détails, que si elle était d’hier.

Je me sens encore roulant dans l’abîme, en recommandant mon âme à Dieu ; je me vois soutenant une lutte désespérée, tâchant de m’accrocher aux herbages fragiles, tandis que Gaston accourait à mon secours, Or, c’est dans cette minute d’angoisse suprême, que mettant en Dieu mon unique espoir, je fis le vœu de lui consacrer pour jamais ma vie, s’il daignait me la conserver. Mon père, vous savez le reste, et comment attentive à ma prière, la Providence permit à temps l’arrivée de mon généreux sauveteur.

Monsieur Richstone avait écouté sa fille les yeux avides, l’âme bouleversée.

— Je suis moins généreux que toi, ma chérie ; mais es-tu sûre que ta vocation, provenant de la crainte, ait été libre et n’ait pas eu une origine plus humaine que divine ?

— Mon Père, vous êtes trop loyal pour ignorer ou méconnaître la valeur de la parole donnée ; si par elle, en honneur, on se croit lié vis-à-vis d’un homme, que sera-ce de la parole donnée à Dieu ? En assistant, il y a quelques semaines, aux grandioses et inoubliables manifestations de foi et de piété qui se sont déroulées à Montréal, je sentais mon âme toute honteuse d’avoir tant différé l’exécution de mes promesses. Au passage de la procession, j’entendis le divin Maître me redire au fond du cœur la parole adressée jadis au Père des croyants :

— Quitte ta famille et la maison de ton père et viens dans la terre que je te montrerai : puis cette autre du Saint Évangile : — Marie a choisi la meilleure part, « celle de la contemplation du bon Maître ».

Un souffle de grâce et de bénédiction en effet, venait de passer avec le divin Maître, entraînant les foules à sa suite comme autrefois les populations de la Judée. On était aux mémorables et historiques journées du Congrès Eucharistique de Montréal.

Après Londres, Cologne, etc., c’était au Nouveau-Monde à offrir à l’ancien, le spectacle sublime de ces manifestations de foi eucharistique.

À la proposition qui lui en avait été faite, sa Grandeur Mgr Bruchési, archevêque de Montréal, avait répondu :

— Je prédis un immense triomphe à notre bien-aimé Sauveur sur les bords du Saint-Laurent. La prédication devait se réaliser. Partout, depuis, on a été répétant : Le Congrès de Montréal a été le plus beau des Congrès Eucharistiques.

Nulle part, en effet, ensemble aussi imposant de cérémonies grandioses ne se déroula dans un cadre aussi immense, dans des circonstances aussi émouvantes, devant des foules aussi recueillies.

Nulle part, affluence aussi empressée de tant de races diverses, unies par les liens d’une même foi et d’un même amour, ne refléta avec autant d’évidence la catholicité de l’église.

Nulle part, l’unanimité des citoyens d’un grand pays et la participation spontanée de toutes les autorités municipales, provinciales et fédérales ne donnèrent à une manifestation en l’honneur de Dieu de l’Eucharistie, le caractère d’un hommage aussi entièrement officiel et national.

Dans quel cadre grandiose va se déployer la pompe des manifestations générales, telle la messe pontificale et la bénédiction papale !… Déjà, l’arrivée du Légat de Pie x, venant de Québec par le Saint-Laurent, entouré d’évêques de toutes les nations, passant lentement entre les berges du fleuve, couvertes de foules enthousiastes venues processionnellement au son des cloches, avait été un spectacle, que l’on croyait insurpassable.

Il n’en était rien cependant : au pied du Mont-Royal à proximité de la ville, s’étend une immense esplanade, où tous les amateurs de jeux en plein air peuvent se livrer sans contrainte à leurs sports favoris. Au dernier plan, s’élève la masse imposante de la montagne, que l’été a parée de frondaisons épaisses, où se mêlent le pourpre et l’or des automnes.

Sur ce fond de verdure, un gigantesque reposoir dresse l’éclatante blancheur de ses quatre colonnes festonnées et de son baldaquin aux reflets d’or. Aux côtés du monument, d’immenses estrades laissent voir, prosternés, plus d’une centaines de prélats en manteau violet, des chanoines en camail bigarré, des centaines de prêtres en blanc surplis et nombre de religieux, aux costumes variés.

La foule des fidèles, que l’on a évaluée à plus de cent vingt mille personnes, est debout sur le gazon, admirable de recueillement écoutant la grand’messe solennelle, dont les cérémonies se déroulent dans un nuage d’encens et le scintillement des habits sacerdotaux.

Un radieux soleil, dans une matinée idéale baigne de sa lumière l’incomparable scène que le légat proclame le plus beau jour de sa vie.