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Page:Simon - Gaston Chambrun, 1923.djvu/51

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GASTON CHAMBRUN


L’automobile frappa le garde-fou du pont.

— Parlez donc, fit Marie-Jeanne, et soulagez votre âme.

Haletant et d’une voix presque éteinte, le mutilé commença :

— C’était à Winnipeg, alors que les grèves y battaient leur plein. La haine du patron, soufflée au cœur de l’ouvrier, élevait des tribunes aux orateurs démagogiques. Au grondement des passions populaires, succéda bientôt le déchaînement de l’orage. La foule des sans travail énervée par l’attente, dévoyée par les mœurs socialistes, encombrait les rues de groupes sinistres et compacts, promenait ses revendications sur de gigantesques écriteaux qu’accompagnait la loque rouge des révolutions. À sa suite, se bousculant, une cohue alcoolisée, aux poings brandis, aux yeux hagards, vociférait le refrain de l’« International » :


Debout, les damnés de la terre !
Debout, les forçats de la faim !
C’est la lutte finale ;
Groupons-nous et demain
L’Internationale
Sera le genre humain.


Le malade épuisé et comme hors de lui s’affaissa soudain, sans mouvements et sans paroles ; après lui avoir administré un tonique, la jeune fille voulut lui imposer le repos dont il avait tant besoin : ce fut en vain ; une nouvelle vigueur sembla lui revenir et reprenant le fil de son récit, il ajouta :

— Parvenu à l’usine Blamon, (à ce nom, Marie-Jeanne eut un frémissement qui ne fut point remarqué du moribond), la seule alors en activité, la ruée de la foule força les grilles d’entrée, tandis que, semblable à la marée, montait ce cri formidable : Sabotage !… Sabotage !… Flambons l’usine ! En un clin d’œil, des bidons de pétrole et des cartouches de dynamite s’étaient trouvés prêts, lorsque tout à coup, un bruit de chevaux au galop attira tous les yeux vers le haut de l’avenue et provoqua ce cri : La police !… La police montée !…

En effet, bien armés, quatre par quatre, sur six rangs de profondeur, des cavaliers lancés à toute bride, firent une charge d’un effet magique. La multitude fondit par enchantement et avec elle l’imminence du danger d’incendie. Mais la haine désarme difficilement, seul, le procédé fut modifié. Deux hommes soudoyés reçurent mission d’incendier l’établissement.

Ce fut par une nuit d’orage qu’eut lieu la tentative. La chose était facile : il suffisait de provoquer l’explosion du dépôt des acides, et c’eût été l’affaire de quelques instants, sans l’arrivée subite, au plein milieu de la tempête, d’un gardien armé, lequel, sans l’atteindre, fit feu sur l’auteur de l’attentat. Ce deuxième échec ne fit qu’enflammer la vengeance du mal-