Page:Simon - L'écrin disparu, 1927.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
L’ÉCRIN DISPARU

était plongé dans son journal, tandis que je m’absorbais à ma broderie. Tout à coup, nous voyons entrer Dupras, l’air hagard, les habits maculés de boue ; il s’assied et se tourne du côté de la cheminée qu’il fixe d’un regard hypnotique. Mon mari doucement lut reproche de ne pas nous avoir prévenus de son retour : « Le chauffeur, lui dit-il, serait allé vous chercher à la gare en auto, tandis que vous vous êtes tout sali en revenant à pied. »

Lui, sans nous regarder aucunement réplique : « Je suis revenu à pied de Québec ; j’ai commencé à marcher en quittant le cimetière… »

À ce mot de cimetière, je laisse échapper une exclamation de surprise :

— Alors, votre pauvre mère ?… sans même tourner vers moi, ses grands yeux égarés, il répondit :

— « Ma mère est morte. »

Juste à ce moment, le Vicomte et Madeleine rentraient ; en les voyant paraître, Dupras se lève brusquement :

— Allons, dit-il, c’est ce que je désirais.

— Vous voilà tous réunis pour écouter mes aveux…

Et en accentuant les mots avec force, il reprend d’une voix saccadée :

— « C’est moi qui ai assassiné Jean. »

Madame Giraldi se tut un instant ; ses yeux semblaient interroger son amie.

— Mon avis ? reprit celle-ci, c’est que le malheureux est complètement fou.

— C’est ce que mon mari a enfin cru de suite, reprit Lédia.

Tandis qu’interloqués, nous contemplions Dupras avec horreur, Monsieur Giraldi lui parlait doucement :

— Vous êtes malade, mon pauvre ami ; c’est le chagrin qui vous fait délirer. Il est impossible que vous ayez commis ce crime !… Rappelez-vous, que pendant la terrible nuit que nous avons passée dans ce même salon, attendant le retour de mon fils, vous partagiez nos anxiétés, et que le lendemain, en apprenant sa mort, vous avez pleuré avec moi… Je ne puis me résoudre à croire à une si odieuse comédie !…

Mais Dupras semblait ne pas entendre ; comme un homme ivre qui craint de tomber, il se cramponnait à une chaise, s’obstinant à nous redire de sa voix blanche :

— « C’est moi, qui ai assassiné Jean ; prévenez la justice et qu’elle me condamne. » Ma mère est morte, je n’ai plus personne au monde, je ne me défendrai pas, prévenez la justice !…