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L’ÉCRIN DISPARU

Avoir des vivres, ne suffisait pas ; il fallait maintenant les porter à destination. Inutile de songer à sortir par la galerie, ou à descendre par le grand escalier… les agents qui faisaient leurs rondes de nuit, pas plus que les regards défiants de plusieurs hôtes de la résidence ne l’eussent permis. Une seule issue, bien que d’accès difficile et fort dangereuse depuis la chambre de Lédia, permettait de s’échapper à l’insu de tous : c’était un étroit escalier de fer destiné au sauvetage en cas d’incendie, et n’ayant un palier d’accès qu’à la fenêtre de la chambre voisine ; aussi la Dame dut faire un effort peu commun d’acrobatie, pour atteindre son instrument d’évasion.

Parvenue à mi-chemin dans l’escalier, la jeune femme s’arrêta un moment oppressée et tremblante : la résonance de quelques marches de fer, mal assujetties, se répercutait avec fracas dans son cerveau enfiévré ; elle entendit des pas crisser sur le sable de l’allée et l’émotion produite fut affreuse : elle faillit se trouver mal et tomber comme une masse inerte dans la plate-bande fleurie qui s’étendait au pied de la muraille.

Serrée contre le mur, à demi-morte de frayeur, immobile osant à peine livrer passage à sa respiration, elle attendit que le bruit se fut éloigné : elle attendit un long temps… croyant enfin le danger disparu, elle se trouva bientôt sur la pelouse qui s’étendait devant elle, baignée dans la lumière blanche de la lune. Impossible de la traverser sans être vue, si à la maison quelqu’un veillait.

Enfin, résolue, d’un élan rapide, Lédia coupa l’allée contournant la pelouse, bien vite glissa dans un taillis d’arbustes où elle s’enfonça haletante, puis immobile, attendit quelques minutes guettant de côté et d’autre… Rien… Elle se remit en marche, le visage souvent cinglé par les branches, courbant la tête pour les éviter, trébuchant presque à chaque pas…

Avant de quitter le fourré, la jeune femme fit halte, observa de nouveau les alentours. Bien lui en prit, car, au détour d’une ailée, elle vit dans l’ombre briller deux yeux, qui glacèrent son sang, lui causant un effroi indicible ; un énorme chien policier, qu’un agent tenait en laisse était là prêt à s’élancer au premier signe de son maître. Par quelle chance miraculeuse, trahi par son flair, l’animal omit-il d’aboyer ?… Lédia hors d’elle-même, n’eut guère le temps d’y songer : effrayée, elle se rejeta en arrière, se blottit, agenouillée dans un fouillis de broussailles. Le moindre craquement de branche sèche eût suffi à déceler sa présence, car l’homme passa si près d’elle, qu’il frôla le taillis protecteur, en conduisant l’animal qui, inquiet, grognait sourdement.