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L’ÉCRIN DISPARU

devant lui, il aperçoit une lumière, dont les reflets rouges scintillent comme un œil effrayant dans l’obscurité. Il est sur le bord du canal ; un bateau est là amarré, un fanal éblouissant à l’avant. Du fond de cette masse liquide, malgré le silence profond, une voix aussi mystérieuse qu’impérative semble lui crier : « Viens à moi ; dans mon sein, tu trouveras la délivrance de tes maux ; la vie est mauvaise, les hommes injustes ; la somme des douleurs l’emporte sur celle des plaisirs ; quitte cet esclavage où tu ne peux plus vivre que misérable et déshonoré ; mieux vaut la mort que la torture. »

Écrasé sous le poids de sa propre existence, le malheureux jeune homme hésite, désespéré, ne sachant quel parti prendre. Il fait encore quelques pas, comme pour s’enfoncer dans une ombre plus profonde, et s’affaisse sur le talus du canal, telle une loque humaine, triste épave d’une famille naguère honorée. Au sortir de cette prostration inconsciente, l’infortuné reprenant ses sens, s’assied, la tête dans les mains. L’instinct de la vie, lui inspire de lutter contre cet affolement atroce, dont l’issue pourrait être la folie.

Alors, dans cette ombre silencieuse, dans cette profonde solitude, Rodolphe, devant ses yeux, comme dans une vision, voit se dérouler le tableau de sa vie. Tout d’abord, au premier plan de ses souvenirs, surgit une physionomie douce, belle, aimante : c’est celle de sa mère si tendre, qu’il a perdue trop tôt, hélas !… il y a quatre ans passés. Il se remémore les douceurs de la vie de famille, alors que docile et sage, agenouillé près d’elle, le soir, il répétait les prières touchantes qu’elle lui avait apprises et qu’il trouvait si belles. Comme elle l’aimait, sa mère !… et comme il la payait de retour !… Puis l’âge monte ; il se revoit au beau jour de sa première communion : il se rappelle sa consécration à Marie dans la chapelle de Notre-Dame de Bonsecours ; il songe à cette formule apprise par cœur et prononcée la main sur l’Évangile ; « Je renonce au démon, à ses pompes et à ses œuvres et m’engage à Jésus-Christ pour toujours… » Ah ! comme il en comprend le sens aujourd’hui et comme il a honte de sa vie de parjures.

Voici la date fatale : la disparition de cette mère bénie, enlevée en moins de huit jours, par une maladie foudroyante. Dans l’affreux chagrin de son père, la vie change ; la maison devient morne, privée de celle qui la peuplait de sa foi sereine, de sa tendresse douce et ferme, de ses sourires qui étaient une lumière et une récompense !…