Page:Simon Levy - Moïse, Jésus et Mahomet, Maisonneuve, 1887.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

condamnons ! C’est cette exubérance d’âme, si on veut bien nous passer l’expression, qui nous fait peur, car, involontairement, nous songeons à ce qu’elle est capable d’enfanter, et alors se présente à nous une société qui, heureusement, a fait son temps, et qui nous a offert le triste spectacle d’une population, dont une moitié était enfermée dans des cloîtres, menant une vie de sincère dévotion, mais en même temps une vie de désœuvrement, et dont l’autre moitié se traînait dans la plus dégradante des misères, parce que le sol manquait de bras pour le retourner, et que la terre, toujours prodigue de ses bienfaits, ne pouvait faire éclore spontanément de son sein des dons qu’on ne lui aidait pas à en faire sortir.

Je sais bien que le Christianisme, le Catholicisme surtout, ne s’effraierait pas, aujourd’hui encore, du retour d’un semblable état de choses ; il se rappellerait tout de suite la parole du Maître disant « Si tu veux être parfait, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; après cela viens et suis-moi[1]. » L’amour de Dieu te tiendra lieu de tout et, quand ton cœur est bien plein de cet amour, qu’as-tu besoin de te préoccuper du reste ? Mais ce que nous tenons à affirmer, c’est que le Judaïsme ne comprend pas cet amour de cette façon ; il le veut entier, désintéressé, mais non pas exclusif de toute autre affection. Père, mère, frères et sœurs, il veut que nous aimions tous ces êtres qui sont une partie de nous-mêmes, avec le même sentiment que nous accordons à Dieu. Ce n’eût certes pas été le Judaïsme qui eût répondu au disciple demandant la permission d’aller ensevelir son père : « Suis-moi et laisse aux morts le soin d’ensevelir leurs morts[2] » ; il lui eût plus évangéliquement dit avec le prophète Élie parlant à son disciple Élisée qui sollicitait la même permission : « Va

  1. Mathieu, chap. XIX.
  2. Mathieu, chap. VIII, v. 21.