Page:Simon Levy - Moïse, Jésus et Mahomet, Maisonneuve, 1887.djvu/325

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débarrasser de son odieuse présence, afin de s’ouvrir un accès plus facile vers ce monde après lequel elle soupire, et loin duquel elle se sent retenue à cause de lui comme par une lourde et pesante chaîne. Mais la raison ne nous commande ni tant de haine, ni tant de négligence pour le corps. Au contraire, elle nous impute à crime de le priver de ce qui lui est nécessaire pour se conserver. Elle comprend que sa condition présente est de vivre avec le corps qui lui sert d’organe et même d’auxiliaire. Elle apprécie ce qu’elle recueille de gloire dans cette lutte qu’il lui présente continuellement. Elle sait qu’à chaque triomphe qu’elle remporte, Dieu a attaché une récompense, et que c’est même à dessein qu’il l’a mise dans la nécessité de convertir cette résistance en moyens, pour acquérir tous les mérites que lui assurent ses bontés éternelles.

Mépriser son corps, le traiter durement, le considérer comme un objet inutile et même dangereux, ce serait donc déjà aller contre le conseil de la raison. Le vœu de la nature ne s’en trouverait pas moins violé. Tout ce dont la nature nous a dotés, tout ce dont elle nous a revêtus doit être par nous conservé et même agrandi et développé. Il n’y a point ici de distinction à établir. Le corps comme tout le reste tombe sous cette règle générale. Un ouvrier sage et intelligent donnerait-il à son œuvre un ornement superflu, ou qui la déparerait et nuirait à l’ensemble ? Et s’il a le dessein de lui faire exécuter un mouvement quelconque, l’entourerait-il de ce qui précisément serait capable de l’entraver dans sa marche ? Ne cherchera-t-il pas à la produire de manière que tout en elle soit toujours plutôt un aide qu’un empêchement ? Que penser donc de l’ouvrier divin qui a travaillé sur un plan tracé par la suprême sagesse ? Y a-t-il à douter que l’homme, son chef-d’œuvre, n’a dû rien recevoir de ses mains qui pût le détourner du chemin de sa destinée ?