Page:Simon Levy - Moïse, Jésus et Mahomet, Maisonneuve, 1887.djvu/85

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être question de liberté, et le libre arbitre n’existant plus, le problème se trouvait supprimé et non résolu.

De la poésie à la philosophie, il y a un chemin assez long et tout parsemé de lumière et de vérité. En passant des poètes aux philosophes grecs, l’idée du destin devait forcément se modifier. C’est aussi ce qui est arrivé. Ce n’est plus maintenant d’une force aveugle qu’il s’agit, c’est de la Providence même. Les penseurs sont parvenus à se rendre compte de cette vague notion de l’Infini qui travaillait tant les imaginations d’autrefois. Cette notion se résume pour eux en ce Dieu qui a tout organisé, qui observe tout, qui applique à tout les règles de son éternelle sagesse. Mais, on le sait, le Dieu de la philosophie grecque n’a pas créé le monde ; il a trouvé, dès le principe, une matière existante à côté de lui, une matière qui avait ses propriétés à elle, et qui, par suite, pouvait opposer une certaine résistance au souverain organisateur des choses. Ni le Stagyrite, ni le Maître de l’Académie ne se défendent de croire à la possibilité de cette résistance ; ils en admettent même la réalité, et s’efforcent de montrer dans quelle mesure Dieu en a tenu compte. Or si, malgré sa suprême sagesse et sa grande puissance et l’excessive liberté surtout avec laquelle il déploie l’une et l’autre, Dieu ne peut pas agir comme il veut ; s’il est obligé de subir la loi fatale de la matière, que sera-ce donc de l’homme ? Que pourra l’homme contre cette nécessité résultant de la matière avec laquelle Dieu est entré en compromis, et qui sera comme le nouveau destin qui pèsera sur sa tête ? Essaiera-t-il seulement de lutter, sachant qu’un être plus parfait, plus puissant que lui a déjà vu ses efforts se briser contre cette résistance ? En enseignant donc que pour eux le destin n’est autre chose que la Providence, mais une Providence qui a toujours soin de mettre ses vues et ses desseins en harmonie avec certaines lois inhé-