Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/179

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Quand un ouvrier indépendant, tel qu’un tisserand ou un cordonnier, a amassé plus de capital qu’il ne lui en faut pour acheter la matière première de son travail personnel et pour subsister lui-même jusqu’à la vente de son produit, il emploie naturellement un ou plusieurs journaliers avec ce surplus, afin de bénéficier sur leur travail. Augmentez ce surplus, et naturellement il augmentera le nombre de ses ouvriers.

Ainsi, la demande de ceux qui vivent de salaires augmente nécessairement avec l’accroissement des revenus et des capitaux de chaque pays, et il n’est pas possible qu’elle augmente sans cela. L’accroissement des revenus et des capitaux est l’accroissement de la richesse nationale ; donc, la demande de ceux qui vivent de salaires augmente naturellement avec l’accroissement de la richesse nationale, et il n’est pas possible qu’elle augmente sans cela[1].

  1. Le salaire nécessaire n’est pas le même dans tous les emplois du travail ; au contraire il varie suivant les métiers. Pour découvrir la base ou le taux normal du salaire nécessaire dans tous les métiers, il faut chercher quel serait le prix nécessaire d’un travail simple qui ne demanderait que les facultés naturelles les plus ordinaires ; d’un travail qui ne coulerait que des efforts médiocres, qui ne serait accompagné d’aucun désagrément particulier, d’aucun danger palpable pour la vie du travailleur ; d’un travail enfin qui pourrait se continuer tous les jours de l’année sans interruption. Tel est par exemple le travail d’un journalier de ferme. Un pareil travail étant le plus commun et le moins pénible sous tous les rapports, il serait aussi le moins coûteux : son salaire nécessaire se réduirait à l’entretien le plus indispensable. Cependant, quelque chétif que nous admettions cet entretien, il faut qu’il suffise pour faire subsister les travailleurs. Or, dans ce calcul, il ne s’agit pas seulement des individus dont le travail est actuellement en demande : il faut que la classe des travailleurs soit conservée ; autrement elle finirait par décroître, et par une suite immanquable, le prix du travail monterait bien au delà du taux normal. Ainsi ce taux comprend non-seulement ce qui est requis pour la subsistance du travailleur lui-même, mais encore la nourriture de ses enfants jusqu’à ce qu’ils puissent travailler comme lui. Sur cette base, on suppose que le taux normal doit rapporter au travailleur au moins le double de sa subsistance personnelle, en admettant que le travail de la femme suffise seulement pour sa propre dépense, à cause des soins qu’elle est obligée de donner à son ménage et à ses enfants. À la vérité, la subsistance nécessaire de deux enfants n’augmenterait pas du double de celle de leur père ; mais on calcule qu’une moitié des enfants qui naissent, meurent avant l’âge viril. Ainsi il faut, selon Adam Smith, que les travailleurs tâchent, l’un dans l’autre, d’élever au moins quatre enfants, pour que deux aient égalité de chance de parvenir à cet âge. Or on suppose que la subsistance nécessaire de quatre enfants est à peu près égale à celle d’un homme fait. Cette considération n’est pas la seule qui entre dans l’évaluation du taux normal. Le travailleur qui ne gagne que le strict nécessaire, ne peut pas perdre un seul jour de travail sans manquer de subsistance pour ce jour-là. Or les maladies, les accidents inévitables, lui enlèvent bien des journées, et cette perte doit être compensée par un surplus sur le salaire qu’il gagne les jours où il peut travailler. D’ailleurs sa consommation n’est point la même dans un jour d’été que dans un jour d’hiver, car il faut au travailleur, pour ce dernier, plus de combustible et plus de vêtements. Ce n’est donc pas sa consommation d’une année qu’on doit considérer pour établir le taux normal. Cependant, quelque soin qu’on mette à déterminer rigoureusement ce taux, il est toujours une mesure variable. Nous avons déjà observé ailleurs combien la nature du pays influe sur l’étendue des besoins du travailleur ; ainsi le taux normal varie d’un pays à l’autre et quelquefois même d’un canton à l’autre. Un climat froid fait naître plus de besoins indispensables qu’un climat chaud, et celui-ci en occasionne plus qu’un climat tempéré. Chez nous par exemple (en Russie), les fourrures, le combustible, l’huile et la chandelle que les longues nuits d’hiver font consommer, augmentent le taux normal des salaires, comparativement à la France et à l’Italie, où ces besoins ont beaucoup moins d’étendue. Dans la région chaude du Mexique, un journalier a besoin annuellement, pour subsister avec sa famille, de 72 piastres ; cette dépense est moindre de près de 20 piastres dans la région tempérée de ce pays. Quelquefois l’air vif qu’un peuple respire semble aiguiser son appétit, tandis qu’ailleurs une température douce parait le rendre sobre et frugal. Les peuples du nord de l’Europe consomment en proportion plus d’aliments que ceux du midi. Telle est la base qui sert à évaluer le salaire nécessaire dans tous les différents métiers. C’est en partant du salaire qui est le prix nécessaire du travail le plus commun et le moins pénible, qu’on peut remonter graduellement aux salaires qui sont la récompense des travaux les plus relevés, les plus difficiles ou les plus désagréables. Comme il y a très-peu de métiers absolument exempts de difficultés, d’inconvénients, il n’y en a aussi que très-peu dans lesquels le salaire nécessaire soit exactement de niveau avec son taux normal ; dans la plupart des métiers, les difficultés et les inconvénients élèvent ce salaire plus ou moins au-dessus du taux normal. Storch.