Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/255

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que ces qualités manquent à un simple laboureur, quoiqu’on le prenne, en général, pour un modèle de stupidité et d’ignorance. À la vérité, il est moins accoutumé que l’artisan au commerce de la société ; son langage et le son de sa voix ont quelque chose de plus grossier et de plus choquant pour ceux qui n’y sont pas accoutumés ; toutefois, son intelligence, habituée à s’exercer sur une plus grande variété d’objets, est en général bien supérieure à celle de l’autre, dont toute l’attention est ordinairement du matin au soir bornée à exécuter une ou deux opérations très-simples. Tout homme qui, par relation d’affaires ou par curiosité, a un peu vécu avec les dernières classes du peuple de la campagne et de la ville, connaît très-bien la supériorité des unes sur les autres[1]. Aussi dit-on qu’à la Chine et dans l’Indostan, les ouvriers de

  1. Ce passage sur la supériorité morale de la population agricole comparée à la population ouvrière des villes, est un de ceux qui révèlent le mieux la bonne foi et le génie du fondateur de l’économie politique. Les disciples d’Adam Smith, en Angleterre, n’ont pas voulu admettre le fait incontestable si bien exposé par leur maître. Mac Culloch prétend, dans une note, que si jamais la population agricole a été supérieure en intelligence et en moralité à la population industrielle, il n’en est plus de même aujourd’hui. Il soutient que les ouvriers de l’industrie anglaise sont aujourd’hui plus intelligents que les paysans agriculteurs. Selon lui, l’intelligence du paysan, continuellement occupée par les faits nombreux et variés qui passent sous ses yeux, n’a pas le temps de réfléchir, et elle reste endormie ; tandis que la monotonie des occupations industrielles sert d’excitation à l’intelligence de l’ouvrier des villes. Il prétend que la nature même de leurs occupations provoque les ouvriers de l’industrie à exercer leur intelligence, et il cite pour exemple les tisserands de Glasgow, de Manchester, etc. Ici, Mac Culloch est complètement démenti par les enquêtes récentes faites sur la condition des tisserands à la main. Les commissaires de l’enquête ont constaté que les tisserands étaient autrefois une classe intelligente et morale ; mais que, sous l’influence de la misère, ils sont descendus à l’abrutissement et à la dégradation morale, qui est la condition des basses classes de la nation anglaise. (Voyez, pour les résultats de celle enquête, l’ouvrage intitulé De la Misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, Paris 1841.) Mac Culloch confond ici évidemment l’esprit plus éveillé qui se montre chez les ouvriers de l’industrie, avec le solide bon sens. Comme du temps d’Adam Smith, et plus encore, les populations agricoles sont supérieures en bon sens, en raison pratique, à celles des grandes villes d’industrie ; c’est un fait incontestable, qui n’est que trop démontré par la moralité comparée des agriculteurs et des ouvriers des villes. Il est aussi vrai que l’avantage intellectuel et moral est de leur côté, qu’il est vrai qu’ils vivent plus longtemps. La différence n’est peut-être pas aussi sensible qu’en France, parce que, en Angleterre, la plupart des ouvriers de l’agriculture sont réduits à la misère et à la dégradation morale qui en est la conséquence. Adam Smith a donc encore raison aujourd’hui en soutenant que les travaux agricoles sont plus favorables à la moralité, à la raison de l’homme, à la santé, que les travaux de l’industrie telle qu’elle est constituée aujourd’hui, surtout en Angleterre.