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la Grèce, et ensuite avec très-peu d’efforts les milices efféminées et mal exercées du vaste empire des Perses[1]. La chute des républiques de la Grèce et l’empire des Perses fut l’effet de la supériorité irrésistible d’une armée de troupes réglées sur toute espèce de milices. C’est la première des grandes révolutions arrivées dans les affaires humaines, dont l’histoire nous ait conservé quelque compte clair et circonstancié.

La seconde est la chute de Carthage et l’élévation de Rome, qui en fut la conséquence. On peut très-bien expliquer par la même cause toutes les variations de fortune que subirent ces deux républiques.

Depuis la fin de la première guerre punique jusqu’au commencement de la seconde, les armées de Carthage furent continuellement sous les armes, et employées sous trois grands généraux qui se succédèrent dans le commandement : Hamilcar, Asdrubal son gendre, et Annibal son fils. Le premier s’en servit pour punir la révolte des esclaves, ensuite pour subjuguer les nations de l’Afrique qui avaient secoué le joug, et enfin pour conquérir le vaste royaume d’Espagne. L’armée qu’Annibal conduisit d’Espagne en Italie avait dû nécessairement, pendant ces différentes guerres, se former par degrés à la discipline exacte d’une armée de ligne. En même temps, les Romains, sans avoir été absolument toujours en paix, n’avaient cependant été engagés, dans cette période, dans aucune guerre d’une bien grande importance, et l’on convient généralement que leur discipline militaire était extrêmement relâchée. Les armées romaines qu’Annibal eut en face à la Trébie, à Trasimène et à Cannes, étaient des milices opposées à des troupes réglées ; il est vraisemblable que cette circonstance contribua plus que toute autre à décider du sort de ces batailles[2].

L’armée de troupes réglées qu’Annibal laissa derrière lui en Espagne eut la même supériorité sur les milices que les Romains envoyèrent

  1. Les troupes grecques égalaient en bravoure les Macédoniens. Mais ce fut plutôt à son génie qu’à la supériorité de ses soldats que Philippe dut la conquête de la Grèce. Buchanan.

  2. Dans toutes ces batailles, ce fut plutôt la science d’Annibal que la valeur de ses troupes qui décida du succès. À Trasimène, et à Cannes particulièrement, les dispositions de la bataille avaient été très-savantes. La première de ces batailles eut lieu dans les Apennins. Annibal avait, par différentes ruses, attiré ses ennemis dans un défilé étroit entre les montagnes et le lac de Trasimène. Le gros de son année était sur les hauteurs ; après que les Humains se furent engagés dans le défilé, il tomba sur eux, et ils étaient vaincus de toutes parts avant qu’ils eussent eu le temps de se ranger en bataille. À Cannes, il dut la victoire à l’art avec lequel il fit manœuvrer son centre ; il le fit avancer en forme convexe au commencement de la bataille ; puis, le faisant reculer à mesure que les Romains attaquaient, il en renversa complètement la forme : les rangs se refermèrent sur le centre ennemi et l’enfoncèrent de tous les côtés. Tous ces mouvements furent exécutes avec une exactitude parfaite, et l’armée romaine, après une résistance héroïque, fut complètement anéantie, sans doute en partie par la valeur des ennemis, mais surtout par le génie supérieur de leur grand capitaine. Buchanan.