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SECTION SECONDE

Des dépenses qu’exige l’administration de la justice.


Le second devoir du souverain, celui de protéger, autant qu’il est possible, chacun des membres de la société contre l’injustice ou l’oppression de tout autre membre de cette société, c’est-à-dire le devoir d’établir une administration de la justice, exige aussi des dépenses qui, dans les différentes périodes de la société, s’élèvent à des degrés fort différents.

Chez les nations de chasseurs, comme il n’y a presque aucune propriété, ou au moins aucune qui excède la valeur de deux ou trois journées de travail, il est rare qu’il y ait un magistrat établi ou une administration réglée de la justice. Des hommes qui n’ont point de propriété ne peuvent se faire de tort l’un à l’autre que dans leur personne ou leur honneur. Mais quand un homme tue, blesse, bat ou en diffame un autre, quoique celui à qui l’injure est faite souffre un dommage, celui qui fait l’injure n’en recueille aucun profit. Il en est autrement des torts qu’on fait à la propriété. Le profit de celui qui fait l’injure est souvent l’équivalent du dommage causé à celui à qui elle est faite : l’envie, le ressentiment ou la méchanceté sont les seules passions qui peuvent exciter un homme à faire injure à un autre, dans sa personne ou dans son honneur. Or, la plus grande partie des hommes ne se trouve pas très-fréquemment dominée par ces passions, et les hommes les plus vicieux ne les éprouvent même qu’accidentellement. D’ailleurs, quelque plaisir que certains caractères puissent trouver à satisfaire ces sortes de passions, comme une telle satisfaction n’est accompagnée d’aucun avantage réel ou permanent, la passion est ordinairement contenue, chez la plupart, par des considérations de prudence. Des hommes peuvent vivre en société, dans un degré de sécurité assez tolérable, sans avoir de magistrat civil qui les protège contre l’injustice de ces sortes de passions. Mais des passions qui opèrent d’une manière bien plus continue, des passions dont l’influence est bien plus générale, l’avarice et l’ambition chez l’homme riche, l’aversion pour le travail et l’amour du bien-être et de la jouissance actuelle chez l’homme pauvre, voilà les passions qui portent à envahir la propriété. Partout où il y a de grandes propriétés, il y a une grande inégalité de fortunes. Pour un homme très-riche, il faut qu’il y ait au moins cinq cents pauvres ; et l’abondance où nagent quelques-uns suppose l’indigence d’un grand