Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombre. L’abondance dont jouit le riche provoque l’indignation du pauvre, et celui-ci, entraîné par le besoin et excité par l’envie, cède souvent au désir de s’emparer des biens de l’autre. Ce n’est que sous l’égide du magistrat civil que le possesseur d’une propriété précieuse, acquise par le travail de beaucoup d’années ou peut-être de plusieurs générations successives, peut dormir une seule nuit avec tranquillité ; à tout moment il est environné d’une foule d’ennemis inconnus qu’il ne lui est pas possible d’apaiser, quoiqu’il ne les ait jamais provoqués, et contre l’injustice desquels il ne saurait être protégé que par le bras puissant de l’autorité civile sans cesse levé pour les punir. Ainsi, l’acquisition d’une propriété d’un certain prix et d’une certaine étendue exige nécessairement l’établissement d’un gouvernement civil. Là où il n’y a pas de propriété, ou au moins de propriété qui excède la valeur de deux ou trois journées de travail, un gouvernement civil n’est pas aussi nécessaire.

Un gouvernement civil suppose une certaine subordination ; mais si le besoin du gouvernement civil s’accroît successivement avec l’acquisition de propriétés d’une certaine valeur, aussi les causes principales qui amènent naturellement la subordination augmentent-elles de même successivement avec l’accroissement de ces propriétés.

Les causes ou les circonstances qui amènent naturellement la subordination, ou qui, antérieurement à toute institution civile, donnent naturellement à certains hommes une supériorité sur la plus grande partie de leurs semblables, peuvent se réduire à quatre.

La première de ces causes ou circonstances est la supériorité des qualités personnelles, telles que la force, la beauté et l’agilité du corps ; la sagesse et la vertu, la prudence, la justice, le courage et la modération. En quelque période que ce soit de la société, les qualités du corps, à moins d’être soutenues par celles de l’âme, ne peuvent donner que peu d’autorité. Il faut être un homme très-fort pour contraindre, par la seule force du corps, deux hommes faibles à vous obéir. Il n’y a que les qualités de l’âme qui puissent donner une très-grande autorité. Néanmoins, ce sont des qualités invisibles, toujours contestables et généralement contestées. Il n’y a pas de société barbare ou civilisée qui ait trouvé convenable de fonder sur ces qualités invisibles les règles qui détermineraient les degrés de prééminence de rang et ceux de subordination, mais toutes ont jugé à propos d’établir ces règles sur quelque chose de plus simple et de plus sensible.