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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/380

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étaient toujours disposées à payer pour l’obtenir, et un présent ne manquait jamais d’accompagner la requête. De plus, quand l’autorité du souverain fut complètement établie, la personne jugée coupable, outre la satisfaction qu’elle était tenue de faire à la partie lésée, était encore obligée au payement d’une amende envers le souverain. Elle avait causé une peine au souverain, elle avait troublé, elle avait rompu la paix de son seigneur roi, et pour cette offense on pensait qu’il était dû une réparation. Dans les gouvernements tartares de l’Asie, dans les gouvernements d’Europe, fondés par les nations scythes et germaines qui renversèrent l’empire romain, l’administration de la justice fut une source de revenu, tant pour le souverain que pour les chefs ou seigneurs subalternes qui exerçaient sous lui quelque juridiction soit sur quelque horde ou tribu particulière, soit sur quelque territoire du canton déterminé. Dans l’origine le souverain, ainsi que les chefs inférieurs, avaient coutume d’exercer en personne leur juridiction. Ensuite, ils trouvèrent partout plus commode d’en déléguer l’exercice à quelque substitut, bailli ou juge. Toutefois, ce substitut était toujours obligé de compter à son supérieur ou commettant des profits de justice. Il ne faut que lire les instructions[1] qui furent données aux juges de tournée du temps de Henri II, pour voir clairement que ces juges étaient des espèces de facteurs ambulants envoyés en tournée dans le pays pour lever quelques branches du revenu du roi. Dans ces temps-là, non-seulement l’administration de la justice fournissait des profits au souverain, mais même il paraît que l’un des principaux avantages qu’il se proposait en administrant la justice était de s’en faire un revenu.

Cette intention de se faire de l’administration de la justice une branche de revenu ne pouvait manquer de faire naître une foule d’énormes abus. La personne qui se présentait les mains bien garnies pour demander justice pouvait s’attendre à obtenir un peu plus que justice, pendant que celle qui la demandait avec de faibles présents devait s’attendre à avoir un peu moins. On pouvait aussi souvent différer de rendre justice, afin que les présents fussent répétés. D’un autre côté, l’amende encourue par la personne dont on se plaignait pouvait bien souvent suggérer de fortes raisons de la trouver dans son tort, même quand elle n’y aurait pas été réellement. Les anciennes histoires de chaque pays de l’Europe font foi que de tels abus n’étaient rien moins que rares.

  1. On les trouve dans l’Histoire d’Angleterre, par Tyrrel. (Note de l’auteur)