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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/381

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Quand le souverain ou chef exerçait en personne son autorité judiciaire, à quelque degré qu’il en abusât, il ne devait guère être possible d’obtenir réparation de l’abus, parce qu’il ne pouvait y avoir personne d’assez puissant pour l’appeler à rendre compte de sa conduite. À la vérité, lorsqu’il l’exerçait par le ministère d’un bailli, on pouvait quelquefois obtenir réparation des abus. Si c’était pour son profit personnel que le bailli eût commis une injustice, le souverain lui-même n’était pas toujours éloigné de le punir ou de l’obliger à réparer son tort. Mais si c’était pour le profit de son souverain, si c’était pour se rendre agréable à la personne qui l’avait mis en place et qui pouvait l’avancer, qu’il eût exercé quelque acte d’oppression, il devait être la plupart du temps tout aussi impossible d’en obtenir la réparation, que si c’eût été le souverain qui eût prévariqué lui-même. Aussi, dans tous les gouvernements barbares, et particulièrement dans tous les anciens gouvernements de l’Europe, qui furent établis sur les ruines de l’empire romain, l’administration de la justice paraît avoir été longtemps excessivement corrompue ; sous les meilleurs monarques, elle était encore bien loin d’être tout à fait équitable et impartiale, et sous les plus mauvais elle était indignement prostituée.

Chez les peuples pasteurs, le souverain ou chef n’étant autre chose que le pasteur le plus considérable de la horde ou de la tribu, il a, comme tous ses vassaux ou sujets, pour s’entretenir, le croît de ses propres troupeaux. Chez les peuples cultivateurs, qui ne font que sortir de la vie pastorale, et qui ne sont pas fort avancés au-delà (tels qu’étaient, à ce qu’il semble, les tribus des Grecs vers le temps de la guerre de Troie, ou nos ancêtres Scythes et Germains quand ils commencèrent à s’établir sur les ruines de l’empire d’Occident), le souverain ou chef n’est de même autre chose que le plus grand propriétaire du lieu, et il a de même pour s’entretenir, comme tout autre propriétaire, le revenu qu’il tire de son propre bien, ou de ce qu’on appela depuis, dans l’Europe moderne, le domaine de la couronne. Dans les circonstances ordinaires, ses sujets ne contribuent en rien à son entretien, excepté quand ils se trouvent dans la nécessité de recourir à son autorité pour les protéger contre l’oppression de quelque autre sujet. Les présents qu’ils lui font dans de pareilles occasions constituent tout le revenu ordinaire, tous les émoluments que peut lui rapporter sa souveraineté sur eux, à cela près peut-être de quelques profits dans certaines occasions fort rares. Dans Homère, quand Agamemnon offre à Achille, pour