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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/495

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Le revenu d’un chef arabe ou tartare consiste en profits ; il provient principalement du lait et du croît de ses bestiaux et de ses troupeaux, dont il surveille lui-même la direction, étant le premier pasteur ou berger de sa horde ou de sa tribu. Ce n’est cependant que dans ce premier état agreste et informe du gouvernement civil que le profit a jamais pu faire la principale partie du revenu public d’un État monarchique.

De petites républiques ont quelquefois tiré un revenu considérable de profits provenant d’affaires de commerce. On dit que la république de Hambourg s’en fait un avec les profits d’un magasin de vin et d’une boutique de pharmacie[1]. Ce ne peut pas être un très-grand État que

  1. Il existe dans nos finances quelques parties de revenu qui ont le caractère de revenu territorial. Tel est le produit des mines, qui est d’environ 180,000 fr. ; celui des salines de l’Est, dont la ferme annuelle est de 2,400 fr. ; quelques propriétés de Pondichéry, dont le gouvernement retire, année commune, 1,000 fr. ; et enfin les forêts de l’État, dont le produit brut annuel est de 18 millions et demi, qui peuvent être regardés comme autant de revenus fonciers. Des motifs d’intérêt public exigent que ces diverses propriétés restent entre les mains du gouvernement. Il faut, poulies grandes constructions et principalement pour celles de la marine, des bois conservés sur pied pendant plus d’un siècle, temps indispensable pour leur faire acquérir le volume, l’élévation et la solidité nécessaires ; mais il est difficile que des particuliers puissent se soumettre à une aussi longue privation de revenu. À cela près de quelques cas d’exception qui sont rares, la propriété foncière n’est jamais plus profitable au pays que lorsqu’elle est placée sous la direction de l’intérêt privé.
    Il y a en France une quantité assez considérable de terres qui sont réputées propriétés communales et qu’on a tenté plusieurs fois, sans succès, de convertir en propriétés individuelles, faute d’avoir su vaincre la résistance opposée par quelques intérêts locaux.
    Ces terres, qui composent plusieurs millions d’arpents, sont, pour la plus grande partie, des vaines pâtures ou de mauvaises broussailles sans produit régulier. Le prétendu droit de propriété des communes n’est fondé que sur une possession immémoriale dont on doit rapporter l’origine à la fin du dixième siècle, époque à laquelle les seigneurs titulaires de bénéfices civils ou militaires usurpèrent l’hérédité de ces bénéfices et voulurent les assurer à l’aîné de leurs enfants mâles, conformément aux règles du droit féodal qui prit naissance à cette époque. Dans l’ancien droit des Francs, le souverain était censé propriétaire de la totalité des terres du royaume, et il concédait aux dignitaires de sa cour et aux principaux chefs de ses armées la jouissance de divers domaines, comme gage attaché à leurs offices ou fonctions. Mais lorsque, sur la fin de la seconde race, les seigneurs investis de ces bénéfices se liguèrent entre eux pour démembrer la couronne et se créer des fiefs héréditaires, pour trouver moins d’obstacle au succès de cette grande entreprise et mettre dans leurs intérêts la population des campagnes, ils délaissèrent aux habitants des communes et des villages toutes les portions de terres sur lesquelles ceux-ci avaient coutume de faire paître leurs bestiaux ou de ramasser du bois pour leur chauffage. C’est ainsi que les habitants d’une même commune commencèrent une possession collective qui s’est toujours continuée depuis, mais qui n’a jamais pu acquérir les véritables caractères d’une propriété. En effet, pour devenir propriétaire, même par prescription et sans titre direct, il faut être jouissant de ses droits ou faire partie d’une association légalement constituée. Ce ne peut être qu’en vertu de lettres de corporation régulièrement délivrées qu’une collection de personnes prend fictivement le caractère d’individualité et devient apte à exercer les droits et actions qui n’appartiennent qu’aux individus. Or, quoique longtemps après ce commencement de possession une grande partie des communes de France aient reçu de nos rois des chartes d’affranchissement et des concessions de libertés et de privilèges, avec l’autorisation de se choisir des magistrats ou syndics à l’effet de stipuler et défendre les droits de la communauté, cependant nous ne connaissons aucune commune dans laquelle les bourgeois soient constitués en corps de société, de manière à pouvoir posséder indivisément entre eux un corps quelconque de propriété foncière. Tout particulier peut s’établir dans la commune où il lui plaît de faire sa résidence, et par son fait seul il devient membre de la commune, sans qu’il ait besoin du consentement ou de l’admission des autres habitants du même village, et sans que ceux-ci aient le droit de contester sa résidence et sa participation aux distributions de fouage et autres jouissances communes, sorte de droit purement précaire et de tolérance, qu’il perd de même par son éloignement de la commune, sans le pouvoir céder ou transmettre à personne. On voit qu’une jouissance de ce genre, quelque longue qu’elle puisse être, n’est pas de nature à pouvoir jamais prendre la consistance d’un droit de propriété. Dans les principes de la législation qui régit aujourd’hui la France, la commune n’est autre chose qu’une simple division administrative ou section de population, de même genre que les arrondissements et les cantons ; et les citoyens qui se trouvent compris dans cette division n’ont entre eux aucun lien d’association, soit conventionnelle, soit légale, qui puisse faire reposer sur leurs titres, ni séparément ni collectivement, un droit de propriété commune et indivise. Ainsi, ce qu’on nomme abusivement propriété communale ne réside réellement sur aucune tête ayant capacité légale de posséder. En rendant ces propriétés à la circulation générale, on n’attenterait au droit de personne ; on attacherait un véritable propriétaire à des propriétés qui n’en ont encore aucun, et on restituerait à la culture une quantité considérable de terre sans produit qui contribuerait à augmenter le revenu public et les revenus particuliers, qui ajouterait aux moyens de travail et de subsistance, et étendrait d’autant la masse de la population. Garnier.