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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/518

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tion plus haute ; qu’une once d’argent, par exemple, au lieu d’être taillée en 5 schellings et 2 pence, eût été taillée en pièces dénommées seulement 2 schellings 7 pence, ou en pièces qu’on eût au contraire élevées, dans leur dénomination, jusqu’à 10 schellings 4 pence, le revenu du propriétaire y aurait perdu dans le premier cas, et celui du souverain dans le second.

Ainsi, dans des circonstances qui auraient différé en quelque chose de celles qui se trouvent avoir eu lieu, cette constance d’évaluation aurait pu entraîner de très-grands inconvénients, ou pour les contribuables, ou pour le revenu public. Cependant, dans la suite des temps, il faut bien qu’à une époque ou à l’autre ces circonstances arrivent. Or, quoique jusqu’à présent nous ayons vu que les empires n’étaient pas moins périssables que tous les autres ouvrages des hommes, cependant tout empire se flatte d’une durée éternelle. Ainsi, toute institution que l’on a établie pour être aussi permanente que l’empire lui-même, devrait être de nature à se prêter à toutes les circonstances, et non pas à certaines circonstances seulement ; ou bien elle devrait être appropriée à ces circonstances qui sont nécessaires et, par conséquent, sont toujours les mêmes, mais non pas à celles qui sont passagères, et qui sont l’effet du hasard ou des besoins du moment.

Cette classe de gens de lettres français, qui s’appellent économistes, vantent comme le plus équitable de tous les impôts un impôt sur le revenu des terres, qui suit toutes les variations du revenu, c’est-à-dire qui s’élève et qui baisse d’après l’amélioration ou le dépérissement de la culture. Tous les impôts, à ce qu’ils prétendent, retombent en dernière analyse sur le revenu de la terre, et doivent, par conséquent, être établis avec égalité sur le fonds qui doit définitivement les payer. Que tous les impôts doivent porter aussi également qu’il est possible sur le fonds qui doit définitivement les payer, c’est une vérité constante. Mais, sans entrer dans une discussion qui serait ici déplacée, de tous les arguments métaphysiques par lesquels ils soutiennent leur ingénieuse théorie, le coup d’œil suivant suffira pour faire voir quels sont les impôts qui tombent en définitive sur le revenu de la terre, et quels sont ceux qui tombent sur quelque autre source du revenu[1]

  1. L’idée que le surplus que produit le sol, en dehors des salaires et profits, doive constituer le fond de toute imposition, ressort nécessairement de la théorie des Économistes, qui soutiennent que le sol est l’unique source de la richesse. Si A. Smith eût été suffisamment pénétré de l’erreur de cette théorie, il aurait vu qu’il n’était nullement nécessaire d’entamer une discussion métaphysique pour arriver à une réfutation complète. L’hypothèse des Économistes se base sur la considération que l’exploitation du sol crée un surplus net. Mais ce surplus naît, ainsi que nous l’avons démontré, du prix élevé des produits de la terre. L’avantage qui en résulte est donc tout entier pour le propriétaire, au préjudice du consommateur. La communauté ne gagne donc aucune augmentation de capital, puisque ce surplus n’est, en définitive, qu’un revenu transporté d’une classe à une autre ; il ne peut donc pas en conséquence fournir une nouvelle matière imposable. Le revenu a déjà existé entre les mains de ceux qui achètent ; il y serait resté si les produits fonciers étaient à un plus bas prix, et on aurait pu l’y imposer tout aussi bien qu’entre les mains des propriétaires fonciers, dans lesquelles le prix élevé de ces produits l’a fait passer. Il n’y a donc pas de raison de dire que le revenu de la communauté vient seulement du sol. Le sol fournit en effet des moyens de subsistance, et des matières premières ; mais le travail qui façonne ces matières crée également un revenu. Les revenus de la société viennent donc en partie du sol, et en partie du travail. Le sol, avec un bon système de culture, et le travail, quand il est judicieusement divisé, soutenu par l’emploi des machines, produisent donc en commun un accroissement de revenu ; la communauté devient plus riche, et c’est sur cette augmentation de richesses, qu’elle vienne de la culture du sol ou du travail, que se prélèvent les impôts. Quand les salaires excèdent ce qui est nécessaire pour la subsistance du cultivateur, pourquoi ne payerait-il pas l’impôt sur le surplus ? C’est ainsi qu’un système de taxation doit procéder, l’impôt enlève une part de leur revenu à ceux qui le payent, quelle que soit d’ailleurs la source de ce revenu. Le zèle des Économistes pour arriver à une application de leurs doctrines parait avoir été grand. Cette doctrine fut sur le point d’être mise en pratique dans l’administration de M. Turgot, qui fut contrôleur-général des finances en France, et qui dans ses écrits s’était toujours montré partisan du système de l’impôt territorial. Cette mesure fut empêchée par le renvoi de M. Turgot. L’administration de M. Turgot s’était signalée par une série d’actes salutaires au bien public ; mais dans cette occasion, il faut blâmer la légèreté avec laquelle cet homme d’État, sur la foi d’une doctrine non encore éprouvée, projetait une mesure qui aurait chargé une seule classe de la communauté de tout le fardeau des impôts. Buchanan.