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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/569

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qui en font l’avance, doit toujours être payée en définitive par les propriétaires et les consommateurs[1].

Un impôt sur les salaires des travaux de campagne ne fait pas haus-

  1. Les raisons qui font supposer à Adam Smith qu’une taxe sur le travail aurait pour suite une augmentation analogue aux prix des salaires, sont peu satisfaisantes ; ses vues sur cette matière se rattachent à sa théorie sur l’état invariable du taux des salaires, que j’ai essayé de réfuter ailleurs. Son argumentation parait se réduire à ceci : l’état d’une société, selon qu’il est en progrès, qu’il reste stationnaire, ou qu’il décline, détermine les moyens d’existence du travailleur ; ils sont ainsi ou abondants, ou modiques, ou bornés ; et comme les salaires se règlent d’après ce principe, il paraît admettre qu’aucune cause ne saurait altérer ce rapport. Dans une société en progrès, le travail est sans doute bien rétribué, parce que les demandes sont très-grandes ; et dans une société stationnaire ou en déclin, il est mal payé, parce que les demandes baissent. Mais, après avoir reçu la rétribution due à son travail, le travailleur peut-il avoir quelque recours contre celui qui l’a employé, parce qu’il sera forcé de dépenser une partie de ce salaire en impôts ? Il n’y a aucune loi qui autorise une pareille supposition. Après avoir reçu son salaire, le travailleur porte à ses propres risques et périls le fardeau de toutes les exactions auxquelles on l’expose, car il n’a à sa disposition aucun moyen coercitif pour exiger un remboursement de celui qui lui a payé la rétribution convenable de son travail. S’il était réduit au strict nécessaire, il ne pourrait pas supporter une pareille réduction de ses salaires, il ne pourrait plus soutenir sa famille ; mais, comme les salaires du travail lui permettent de se procurer une plus grande aisance, quelquefois même des objets de luxe, il a toujours de quoi payer l’impôt. Ce que l’impôt lui enlève serait dépensé en jouissances auxquelles il est ainsi obligé de renoncer. Les taxes sur le travail, ou sur des articles à l’usage du travailleur, ont pour effet de diminuer l’aisance du travailleur ; elles augmentent ses privations et tendent à dégrader la condition des classes ouvrières. Adam Smith suppose que l’effet inévitable d’une taxe sur les objets de première nécessité sera d’en rendre l’acquisition impossible au travailleur, et de produire ainsi, par contre-coup, une hausse dans les salaires. Mais ceci ne peut être admis que dans le cas où le travailleur serait réduit au strict nécessaire ; car, s’il peut vivre dans l’aisance, il retranchera du superflu pour payer l’impôt sur le travail ou sur les objets de première nécessité. Qu’il y ait donc une taxe directe sur le travail, ou une taxe sur des objets qu’Adam Smith appelle articles de luxe, les effets sur la condition du travailleur resteront toujours les mêmes ; car, du moment qu’il est obligé de régler ses dépenses de manière à pouvoir payer la taxe, il n’est d’aucune importance de savoir de quelle espèce de jouissance il est forcé de se priver.

    Adam Smith modifie, il est vrai, son opinion relativement à l’influence d’une taxe directe sur les salaires du travail, en ajoutant que c’est seulement quand les demandes du travail restent les mêmes, que les salaires du travailleur s’élèvent en proportion de la taxe. Mais pourquoi admettre que les demandes resteront les mêmes, quand les salaires auront augmenté ? C’est toujours la demande qui règle le prix du travail, et si les demandes n’augmentent pas, les prix ne s’élèvent pas non plus. Il est également contraire aux principes en économie politique, de supposer que la demande restera la même, malgré une hausse dans les prix ; les demandes du travail, comme celles des marchandises, baissent a mesure que les prix s’élèvent. Si le travailleur exigeait une augmentation de salaire proportionnée à la taxe, les demandes du travail diminueraient immédiatement, et il serait bientôt forcé de se contenter des anciens salaires. Pour payer la taxe, le travailleur sera donc obligé de réduire ses dépenses, en se passant des objets qui ne sont pas absolument nécessaires. Buchanan.