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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/68

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que nous puissions parvenir à faire révoquer ces empêchements, c’est, à ce qu’il semble, une mauvaise méthode pour compenser le dommage fait à quelques classes particulières du peuple, que de faire nous-mêmes un autre dommage, tant à ces mêmes classes qu’à presque toutes les autres. Quand nos voisins prohibent quelqu’un de nos objets de manufacture, en général nous prohibons chez nous, non-seulement leurs ouvrages du même genre, ce qui seul ne pourrait pas produire grand effet chez eux, mais quelques autres articles du produit de leur industrie. Cette mesure, sans doute, peut donner de l’encouragement à quelques classes particulières d’ouvriers chez nous, et en frappant d’exclusion quelques-uns de leurs rivaux, elle peut mettre ces ouvriers à même d’élever leurs prix dans le marché intérieur. Mais, toutefois, la classe d’ouvriers qui souffre de la prohibition faite par nos voisins ne tirera pas d’avantages de celles que nous faisons. Au contraire ces ouvriers et presque toutes les autres classes de citoyens se trouveront par là obligés de payer certaines marchandises plus cher qu’auparavant. Ainsi, toute loi de cette espèce impose une véritable taxe sur la totalité du pays, non pas en faveur de cette classe particulière d’ouvriers à qui la prohibition faite par nos voisins a porté dommage, mais en faveur de quelque autre classe.

Le cas dans lequel il peut y avoir quelquefois lieu à délibérer jusqu’à quel point et de quelle manière il serait à propos de rétablir la liberté d’importer des marchandises étrangères, après qu’elle a été interrompue pendant quelque temps, c’est lorsqu’au moyen des gros droits ou prohibitions mises sur toutes les marchandises étrangères qui pourraient venir en concurrence avec elles, certaines manufactures particulières se sont étendues au point d’employer un grand nombre de bras. Dans ce cas, l’humanité peut exiger que la liberté du commerce ne soit rétablie que par des gradations un peu lentes, et avec beaucoup de circonspection et de réserve. Si l’on allait supprimer tout d’un coup ces gros droits et ces prohibitions, il pourrait se faire que le marché intérieur fût inondé aussitôt de marchandises étrangères à plus bas prix, tellement que plusieurs milliers de nos concitoyens se trouvassent tous à la fois privés de leur occupation ordinaire et dépourvus de tout moyen de subsistance. Le désordre qu’un tel événement entraînerait pourrait être très-grand[1]. Il y a pourtant de bonnes raisons pour croire qu’il le

  1. Il est permis de croire que les pertes et inconvénients qui suivent toujours la transition d’un système de commerce exclusif à un système libéral, ont été singulièrement exagérés. Les hommes employés dans les quelques branches de l’industrie anglaise qui ne pourraient résister a une concurrence illimitée, ne forment qu’une portion peu considérable de notre population ouvrière. C’est cette fraction de la population qui gagne au maintien du système prohibitif, et qui par conséquent souffrirait de son abolition. — La valeur des marchandises produites annuellement en Angleterre a été évaluée dans les derniers relevés statistiques à peu près à la somme de 125,000,000 livres sterling (3,125,000,000 fr.), y compris les matières premières. Or, les toiles et les soieries sont les deux seules industries auxquelles des relations libres avec les autres pays pourraient sérieusement causer des dommages.

    Mais les capitaux engagés dans ces deux industries n’excèdent pas, y compris les matières premières, 17 à 18 millions de livres sterling (425 à 450 millions de fr.). C’est à peu près la septième ou huitième partie de la valeur de toutes nos manufactures. La même proportion existe entre le nombre d’hommes que ces deux industries emploient, et la population de nos manufactures. (Tables statistiques de l’empire britannique, voyez articles toiles et soieries.) D’ailleurs l’importation libre, des toiles et soieries ne ruinerait qu’une très-petite partie de ces manufactures. Aucune branche de l’industrie linière ne souffrirait d’une réduction progressive des droits d’importation sur les toiles. Si les Français excellent dans la fabrication des soieries légères, en revanche nous leur sommes supérieurs, ou au moins égaux dans la fabrication des gants et dans la bonneterie, et les étoffes mêlées, dont la soie forme la base. Nous sommes également leurs rivaux pour l’éclat des couleurs et la durée de la teinture. Il résulte de documents communiqués au comité de la Chambre des communes que citait chose ordinaire que d’assurer à Londres, moyennant une prime de 10 à 15 pour 100, la livraison des soieries françaises. C’est donc moins aux règlements prohibitifs qu’à leur véritable habileté que nos fabricants de soieries doivent le monopole sur le marché dont ils ont joui pendant si longtemps. Mais ce sont précisément des règlements de douanes qui, en les protégeant, les ont rendus indifférents pour toute espèce d’amélioration ; et aujourd’hui même, sous le rapport des machines, nos fabricants se trouvent être inférieurs à ceux de France et d’Allemagne. La sagacité de M. Huskisson s’aperçut bien vite des causes de cette infériorité, et il eut le courage d’entreprendre un changement de système. Ce changement eut lieu en 1826. Les droits sur la soie écrue furent réduits. Ceux sur la soie torse ou organsinée furent diminués d’une manière notable ; en même temps la prohibition contre les soieries étrangères fut abolie et leur entrée accordée moyennant un droit de 30 pour 100 ad valorem. — Le nouveau système fut attaqué avec véhémence. On crut y voir la ruine des manufactures ; mais toutes ces craintes étaient sans fondement. La mesure, au contraire, eut un succès incontestable. Les fabricants, voyant qu’ils ne pouvaient plus compter sur la protection des lois douanières, employèrent toute leur énergie, et appelant à leur aide toutes les ressources de la science et de leur habileté, ils firent faire à cette industrie, pendant les douze années finissant en 1837, plus de progrès qu’elle n’en avait fait dans tout le siècle précédent. Les importations de matières premières et les exportations d’articles fabriqués augmentèrent rapidement ; et maintenant (1838) les capitaux engagés dans cette industrie s’élèvent à la somme énorme de 10,000,000 livres sterling (250,000,000 fr.), et nous exportons des quantités très-considérables de soieries même pour la France. Mac Culloch.