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C’est l’exercice d’une fonction sacrée : tout commerce avec les hommes lui est interdit. Ayant un jour demandé à un Indien ce que signifiait cette pratique, il nous répondit naïvement qu’il était étonné d'un pareille question ; qu’il est bien évident « que, si on abandonnait le soleil pendant la saison froide, il finirait par perdre sa chaleur, se fatiguer et tomber ce qui causerait la perte du monde, qu’il fallait en conséquence l’aider par la chaleur du feu. » Il ajouta qu’ils en usaient ainsi en qualité de parents, vu que le soleil est fils d’un Indien et d’une indienne et que par cela même ils sont frères. »

Le Territoire Indien. — Cet immense Territoire, plus grand que le tiers de la France et placé comme une enclave au cœur de la grande république américaine, doit son nom, on le sait, aux tribus à demi-sauvages qui composent presque exclusivement sa population. Là se sont réfugiés, comme dans une dernière citadelle, les débris des races aborigènes refoulées par l’envahissement des Européens. Quelques-unes de ces peuplades n’ont pas encore perdu l’habitude de scalper et de torturer les malheureux blancs égarés dans leurs repaires. Mais la perspective d’une mort affreuse n’a pas arrêté les vaillants missionnaires bénédictins, à qui est confiée depuis onze ans cette grande mission, et ils ont déjà fait entrer dans le bercail du divin Maître plus de deux mille de ces enfants indomptés du désert.

Le Territoire Indien, encore inculte dans presque toute son étendue, est divisé en tribus. Chacune d’elles a son langage propre : quand deux Indiens, un Comanche et un Sharonce par exemple, se rencontrent, s’ils veulent se comprendre, ils sont obligés de se faire des signes, langage universel, intelligible pour tous. Outre l’idiome propre à chaque tribu, l’anglais commence à être parlé par les Indiens du Territoire, à l’exception toutefois des vieillards, ennemis de tout ce qui sent tant soit peu la civilisation. La jeune génération indienne, au contraire, se jette, tête perdue, dans le courant de la civilisation américaine qui envahit tout.

Les religions ici sont très nombreuses. Parmi les blancs, la grande majorité est méthodiste ou presbytérienne ; les épiscopaliens, baptistes, quakers sont en minorité : beaucoup n’ont aucune croyance. Quant aux Indiens, leur religion varie avec la tribu et il est difficile d’en connaître le caractère précis. Les Comanches adorent le soleil et sont très superstitieux.

Les trois tribus des Comanches, des Apaches et des Arrapahœs sont les seules qui conservent certaines mœurs et coutumes indiennes, telles que le la coiffure de plumes, les danses guerrières et religieuses. Mais toutes les tribus pratiquent encore la veillée des morts. Quand un Indien meurt, les voisins accourent et passent la nuit près du cadavre ; on chante en accomplissant certains rites ; le chant est long et monotone ; puis on boit, on organise des danses mortuaires, pendant que les pleureuses se livrent à des lamentations bruyantes, impossibles à décrire.

Seule la tribu des Pottowatomies est presque entièrement catholique. C’est à ces mêmes Pottowatomies que le bon Dieu a envoyé, il y a environ cinquante ans, la vaillante et sainte Madame Duchesne, l’apôtre du Sacré-Cœur chez les Indiens ; c’est vers eux qu’il a dirigé les enfants de Saint - Benoît, pour les maintenir dans la vraie foi. Quelques-uns servent et prient Dieu avec une simplicité admirable ; mais il y en a encore beaucoup, surtout parmi les vieux, à qui il est difficile d’expliquer les vérités les plus essentielles de la foi ; néanmoins, on y arrive, car ils ont en matière religieuse beaucoup de simplicité, et ils écoutent docilement la voix du prêtre.

Les missionnaires bénédictins ont bâti leur monastère sur un plateau entouré de collines boisées. Les dépendances : forge, menuiserie, forment un vrai village. Ce n’est qu’à force de labeurs incessants qu’ils sont parvenus à transformer cette sauvage solitude et à en faire un lieu habitable. Leurs Pères ont défriché les forêts des Gaules et de la Germanie ; Deo adjuvante, ils ont pu faire comme eux dans ce vaste désert indien et ces vieilles forêts d’Amérique. Après avoir beaucoup souffert dans les commencements, ils peuvent aujourd’hui subvenir à leurs besoins, et le bon Dieu leur donne encore de quoi nourrir de pauvres familles indiennes. Un jour, le vénéré supérieur de la mission disait : « Tant que nous aurons des pauvres parmi nous, je ne désespérerai de rien ; et, n’eussions-nous qu’un morceau de pain, je le partagerais entre eux et la communauté. » Sainte et belle confiance que la Providence n’a cessé de bénir visiblement ! Alors que toute la contrée d’alentour semble frappée de stérilité, les champs de maïs, d’avoine, de millet, le jardin, les vergers des moines, tout produit chaque année, abondamment.

Le fondateur de cette intéressante mission, dom Robot, s’est endormi dans le Seigneur l’année dernière. Il a été remplacé par dom Ignace.