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Le Vénérable CHANEL (Pierre-Marie- Louis)
de la Société de Marie,
premier martyr de l'Océanie centrale
(1802—1841.)


A côté des portraits des pontifes de la Société de Marie qui régissent l’Église de Dieu dans ces lointains archipels, on nous permettra de placer la sereine et angélique figure du premier missionnaire mariste qui eut le bonheur d’y verser son sang pour la foi.

C’est le 28 avril 1841 que le P. Chanel consomma son sacrifice.

Le roi de Futuna, irrité des progrès du catholicisme dans ses États, et excité par Musumusu, premier ministre, tint, le 27 avril 1841, un conseil dans lequel on résolut de faire la guerre aux catéchumènes dans leur sommeil, en blesse un grand nombre et court assouvir sa haine contre celui que les païens appelaient l’auteur de la religion nouvelle.

Le P. Chanel était seul ; depuis quelques jours il ne pouvait guère s’éloigner de sa demeure ; ses pieds meurtris, à la suite de courses nombreuses sur les routes semées de corail aigu, le faisaient beaucoup souffrir. Il avait envoyé ses catéchistes ordinaires, J. Marie-Nizier et Thomas Boog, baptiser quelques enfants en danger de mort.

Apercevant Musumusu, le P. Chanel, qui connaissait les complots tramés contre sa vie, se dirigea vers lui :

« — D’où viens-tu ? lui demanda-t-il.

« — D’Asoa, répondit Musumusu.

« — Quel est le motif de ta visite ?

« — Je veux un remède pour une contusion que j’ai reçue.

« — Comment as-tu été blessé ?

« — En abattant des cocos.

« — Reste ici, je vais te chercher un remède et panser ta blessure. »

Pendant cet entretien, Filitika et Ukuloa, deux sauvages qui s’étaient joints à Musumusu, étaient entrés dans la case du missionnaire.

Le Père les rencontra comme ils sortaient chargés de linge.

« — Pourquoi, leur dit-il, venez-vous ici ? Qui vous a donné le droit d’agir en maîtres dans ma maison ? »

Ils gardèrent le silence et jetèrent le linge loin d'eau. Le reste de la troupe étant alors accouru, la scène prit un caractère plus alarmant.

Musumusu pousse un cri féroce et interrompt le missionnaire qui représente à ses agresseurs la grandeur du crime qu'ils méditent :

« — Pourquoi tarde-t-on à tuer l'homme ? »

A l'instant même, Umutauli, l'un des sauvages, brandit une énorme massue sur la tête du Père, qui, en parant le coup, a le bras fracassé. Filitika, qui se trouvait derrière le missionnaire, le repousse violemment en criant :

« — Fai motake mote. » (Frappez promptement, qu'il meure !)

Aussitôt Umutauli assène un second coup et lui fait à la tempe gauche une horrible blessure. Filitika attesta plus tard que le P. Chanel s'écria à plusieurs reprises : « Malie fuai ! » (Très bien !) Un troisième bourreau, nommé Fraséa, armé d'une baïonnette adaptée à une lance, se précipite sur le saint prêtre ; la baïonnette glisse, mais le bois de la lance frappe le P. Chanel et le renverse par terre. Ukuloa décharge sur lui plusieurs coups de bâton.

Puis, oubliant d'achever leur victime, ces furieux mettent au pillage la case du missionnaire et se disputent le linge, le mobilier, les images, les tableaux, les ornements sacrés, le calice et le saint ciboire.

Le P. Chanel se relève et se met à genoux ; l'épaule appuyé contre une paroi de bambous, la tête baissée, il essuie de la main gauche le sang qui ruisselle sur son visage, et offre à Dieu le sacrifice de sa vie pour le salut de ses chers Futuniens et en particulier de ses bourreaux.

Un catéchumène, dont la conversion était peu convenue, s'approche du martyr :

« — Kua pakia a Pétélo, » dit-il. (Pierre est meurtri.)

Le Père, le regardant avec bonté :

« — Où est Maligi ? « demande-t-il d'une voix presque éteinte.

C'était un vieillard qui lui était particulièrement dévoué.

« — Il est à Alofi.

« — Tu lui diras, ainsi qu'à mes autres amis, que ma mort n'est pour eux et pour moi qu'un grand bien (Malie fuaï loku mate). »

Cependant Musumusu, le seul qui ne perde pas de vue le but principal de l'expédition, s'adressant aux pillards :

« — N'êtes-vous venus ici que pour prendre des richesses ? »