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hérétiques eurent à employer toutes leurs ruses et toutes leurs menaces pour s’introduire à Bau, dont le nom commençait à devenir redoutable dans tout l’archipel. Le tigre grinçait des dents contre ceux qui osaient essayer de le faire renoncer au cannibalisme. La gueule des canons qu’il avait l’occasion de voir quelquefois à bord des vaisseaux, l’intimidait cependant, et leurs voix sonores parlèrent hautement en faveur des ministres.

En 1851, Mgr Bataillon, visitant cet archipel, ne put avoir une entrevue avec Çakobau, pour l’engager à recevoir des missionnaires. Les wesleyens n’avaient pas encore pu obtenir cette faveur, et Mgr d’Énos ne fut pas plus heureux. Les premiers parvinrent enfin à pénétrer dans la citadelle en 1853. Il se déclara wesleyen, et tout son royaume eut à le suivre.

Depuis lors, des relations continuelles avec les Européens finirent par lui donner une certaine teinte de civilisation et les Anglais surent s’insinuer si bien dans ses bonnes grâces qu’il finit par leur abandonner en 1874 la souveraineté de son archipel.

Hercules Robinson, gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud, muni des pleins pouvoirs de la Reine, se rendis à Fidji, pour conclure cette affaire.

L'acte de cession pure et simple fut dressé, le 30 septembre, au palais du gouvernement. Il ne serait pas exact de dire qu'il fut signé par Çakobau. Pour cause, il dut se contenter de faire écrire son nom, fit appliquer son sceau et dit : « — Ceci est ma signature et mon acte. »

Tous les grands chefs présents signèrent le document.

L'acte solennel de cession eut lieu le 10 octobre. La nuit précédente et toute la matinée de ce jour, la tempête faisait rage, la pluie tombait par torrents. A une heure, le temps se rasséréna quelque peu, et les préparatifs interrompus se terminèrent en toute hâte. A deux heures vingt minutes, sur Hercules Robinson arrivait, accompagné d'un brillant état major, salué par dix-sept coups de canon et les hourrahs des matelots montés sur des vergues. L'infanterie de marine et les troupes indigènes l'acclamèrent à son débarquement. Çakobau, entouré des chefs et de ses ministres, l'attendait au palais. Il s'assit ayant à sa droite sir Hercules et à sa gauche le commodore Goodenough ; tout le reste de l'assistance se tenait debout. On lut de nouveau en fidjien et en anglais le traité de cession, auquel les chefs, absent le 30 septembre, apposèrent leur signature.

À ce moment, le premier ministre du roi qui abdiquait présenta au gouverneur un énorme casse-tête et lui fit le discours suivant :

« En cédant Fidji à la reine Victoria, le roi désire envoyer à Sa Majesté, par l'entremise de Votre Excellence, le seul objet auquel il tienne encore et qui puissent l'intéresser, sa vieille et favorite massue de guerre. Le casse-tête avait été, jusqu'à ces dernières années, la seule loi dans les Fidji. En abandonnant cette loi de la force pour adopter les principe des nations civilisées, le roi fait de sa vieille arme de guerre la masse du parlement de Fidji. Comme Votre Excellence le voit, on y a gravé dans ce but les emblèmes de la paix et de l’amitié. Le roi me charge de dire à Votre Excellence que, sous cette vieille loi de force, beaucoup de ses sujets, des tribus entières, ont disparu ; mais il reste encore des centaines de mille Fidjiens pour jouir des bienfaits d’un ordre de choses meilleur. Avec cette arme de guerre, le roi envoie aussi à la reine d’Angleterre l’assurance de son amitié et de son respect. Il compte que Sa Majesté et ses successeurs veilleront au bien-être de ses enfants et de son peuple, qui renoncent à leurs coutumes anciennes pour accepter, sous le drapeau anglais, une civilisation plus élevée. »

Ce casse-tête, vieille arme de guerre, était enrichi de divers dessins et décorations en argent.

Le gouverneur signa l'acte de cession et la copie qui en avait été préparée ; puis il se rendit sur le perron du palais. Il déclara à l'assemblée qu'à dater de ce jour Fidji était une possession de la couronne britannique. On amena en silence le drapeau fidjien, et aussitôt apparut l'étendard des royaume unis de la Grande-Bretagne et l'Irlande. Toute la foule le salua par des applaudissements ; la musique de la frégate joua le chant national : God save the Queen, tandis que l'on tirait une salve de vingt-et-un coup de canon. Parmi les réjouissances de cette soirée, les journaux mentionnent le joyeux carillon de l'église du Sacré-Cœur .

Sir Hercules, avant de quitter Fidji, décréta que Çakobau recevrait annuellement une pension de 900 livres sterling (22,500 fr.).




Mais passons. La terre immense des Papous et les innombrables archipels éparpillés sur cette partie de l'Océan pacifique nous attendent. Que de points obscurs, que d 'îles inexplorées, que des terres vierges dans ces myriades de petits royaumes polynésiens !