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AGRÉGATION DE MÉDECINE

L’HISTOIRE EXPLICATIVE ET LA SOCIOLOGIE


Il ne suffit pas de quelques aperçus flottants, vapeurs de l’expérience commune, pour démontrer, en même temps que l’existence propre de phénomènes sociaux, la nécessité d’une sociologie.

Tournons-nous donc vers ceux qui, faisant profession de ne pas substituer leurs « idées » au réel, mais de « laisser parler les faits », étudient depuis déjà longtemps, avec un esprit « scientifique », tout ce qui s’est passé dans les sociétés humaines : interrogeons les historiens. L’œuvre des historiens exclut-elle, ou appelle-t-elle, rend-elle inutile ou indispensable l’œuvre des sociologues ?

Pour en décider il faut comprendre à quel prix peut être obtenue, des faits historiques, une véritable explication.

On pourrait croire, au premier abord, que l’historien se soucie peu d’expliquer, mais seulement de décrire exactement, et comme l’on dit, de faire revivre tel quel le passé. Tant d’efforts, et de natures si diverses — rassemblement et classement des documents, restitution et interprétation des textes, critique de sincérité et critique d’exactitude — doivent être dépensés pour ramener les faits historiques à la lumière du jour, dans la situation où la plupart des faits étudiés par les autres sciences se présentent d’eux-mêmes à l’observation ! Après un pareil labeur, il semble que l’historien moderne ait le droit de se reposer sur les pierres qu’il a arrachées au passé, sans s’inquiéter encore de les ordonner en un édifice intelligible. Bornons systématiquement notre ambition. À d’autres les explications hasardeuses ; à nous les constatations sûres.

Une pareille attitude d’esprit n’a qu’un inconvénient, c’est d’être à peu près intenable. L’intelligence humaine est ainsi faite qu’elle ne peut guère constater sans essayer de comprendre. Par ses opérations élémentaires elles-mêmes elle organise spontanément les matériaux qui lui sont apportés. Les philosophes vous le prouveraient aisément : « Percevoir c’est encore se souvenir » — et c’est déjà concevoir. Si cela est vrai des perceptions du présent, élaborations inconscientes et spontanées de notre propre esprit, comment ne le serait-ce pas de ces perceptions du passé qui sont l’œuvre historique, élaborations conscientes et méthodiques de l’historien ? Sans les faire comprendre il ne saurait faire revivre les événements. Cette synthèse qui doit, suivant Michelet, ressusciter les siècles veut être précédée, il le reconnaît, d’une analyse des différentes forces dont le concours explique leur marche. Ceux-là mêmes qu’on nomme les représentants de l’école narrative le déclarent. Selon Thiers, l’ordre de narration le plus beau, parce qu’il est le plus naturel, est celui qui a pu saisir « le lien mystérieux qui unit les événements, la manière dont ils se sont engendrés les uns