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« Et le dernier de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de rien omettre. »

Ainsi, et c’est ce qui constitue la valeur la plus universelle de l’œuvre de Descartes, il ne se limite pas à la négation de la scolastique et de la méthode d’autorité aux problèmes que posent les sciences particulières. Il nie la méthode d’autorité et la scolastique dans leur ensemble, proclamant en face d’elles les droits de l’esprit critique et de la raison, cherchant à tirer des sciences les plus évoluées, comme les mathématiques, une méthode universelle.

De cette manière, Descartes ouvre la voie non seulement aux autres grands métaphysiciens qui, tel Spinoza, furent des champions de la pensée libre, mais encore aux matérialistes français du XVIIIe siècle. Descartes est le champion génial de la pensée moderne, qui voit dans les sciences positives le seul chemin qui puisse conduire l’homme à la connaissance vraie, et par la connaissance vraie à la maîtrise consciente des forces naturelles et sociales. Et d’Alembert, dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, a pu écrire :

« Descartes a osé du moins montrer aux bons esprits à secouer le joug de la scolastique, de l’opinion, de l’autorité, en un mot des préjugés et de la barbarie ; et par cette révolte dont nous recueillons aujourd’hui les fruits, il a rendu à la philosophie un service plus essentiel peut-être que tous ceux qu’elle doit à ses illustres successeurs. On peut le regarder comme un chef de conjurés qui a eu le courage de s’élever le premier contre une puissance despotique et arbitraire et qui, en préparant une révolution éclatante, a jeté les fondements d’un gouvernement plus juste et plus heureux qu’il n’a pu voir établi. »


Le dualisme cartésien

Ceci posé, ayant, comme nous l’avons vu, remarqué que tout ce qu’il sait ou croit savoir lui est arrivé par l’intermédiaire des sens ou de la tradition et que les uns comme l’autre sont trompeurs, Descartes met tout en question et doute de toute chose. Il oppose à la science traditionnelle un doute radical. Non point qu’il veuille s’en tenir là et se borner à quelque scepticisme. Ce doute est pour lui provisoire et doit lui permettre de rebâtir, d’arriver à une science certaine, acquise par lui-même. Or, le fait même que je doute, remarque-t-il, montre avec certitude que je pense. Or, penser, c’est exister. Il est donc certain que j’existe, et voilà acquise la première certitude : c’est le fameux « Je pense, donc je suis ». La primauté est donc donnée à la pensée sur l’existence, comme dans la conception idéaliste du monde. Mais voici que Descartes se refuse à admettre que ses idées soient simplement le produit de son imagination. Le chaud, le froid, la lumière, tout cela n’est pas hallucination, et Descartes affirme l’existence du monde de la matière, du monde extérieur. Sans doute fait-il dépendre sa démonstration de l’existence de Dieu. Celle-ci une fois démontrée, ma foi instinctive dans l’existence du monde extérieur est fondée, puisque je la tiens d’un être parfait, c’est-à-dire incapable de me tromper. Mais le fait essentiel est que Descartes met à la base de son système métaphysique à la fois la pensée et la matière, à