Page:Solomon - La Pensée française des origines à la révolution, 1946.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la fois l’homme et le monde extérieur. C’est ce qu’on appelle le dualisme cartésien. On comprend sans peine que ce dualisme peut donner lieu à des conséquences bien différentes suivant qu’on insiste sur l’un ou l’autre côté. Il est de coutume actuellement, sous l’influence d’une philosophie réactionnaire, d’insister sur le côté spiritualiste de la philosophie de Descartes qui fut bientôt dépassé par Spinoza, par Leibniz, et qui devait être combattu par les Encyclopédistes, mais, comme le disait d’Alembert, « s’il a fini par croire tout expliquer, il a du moins commencé par douter de tout, et les armes dont nous nous servons pour le combattre ne lui en appartiennent pas moins, parce que nous les tournons contre lui. » En fait, en ne retenant de Descartes que le côté métaphysique spiritualiste, on déforme sa figure, on s’efforce de nier ses relations avec le matérialisme français du XVIIIe siècle.

Celui-ci procède en effet de l’autre côté de Descartes : « Le matérialisme mécanique français, écrit Marx, se rattacha à la physique de Descartes, par opposition à sa métaphysique. Ses disciples furent antimétaphysiciens par profession, à savoir physiciens. » Il nous faut justement insister sur les conquêtes essentielles réalisées par Descartes tant sur le domaine des mathématiques que sur le domaine des sciences de la nature : physique, astronomie, biologie.


Descartes mathématicien

Comme nous l’indiquons plus haut, les mathématiques apparaissaient alors la seule base solide pour celui qui voulait se construire sur des bases rationnelles une représentation fidèle de la nature. Aussi, le perfectionnement des mathématiques devait-il lui apparaître comme une étape indispensable. Mais si les mathématiciens grecs et arabes avaient découvert quantité de propriétés remarquables des figures et des nombres, un esprit comme celui de Descartes, qui voulait partir des mathématiques à la conquête du monde devait être frappé du caractère hasardeux des démonstrations de ces propriétés. N’était-il donc pas possible de trouver une méthode qui permît par son application régulière de résoudre n’importe quel problème sans qu’il fût nécessaire de chercher pour chaque problème une méthode particulière ? Ce fut l’œuvre mathématique essentielle de Descartes que de mettre à jour cette méthode. Fidèle à son principe que les distinctions entre sciences sont artificielles, sinon nuisibles, elle consistait à découvrir une relation mutuelle entre deux sciences séparées : l’algèbre et la géométrie, la géométrie analytique.

On faisait ainsi correspondre les équations aux courbes, on pouvait ramener les problèmes de la géométrie aux problèmes de l’algèbre et réciproquement. Ainsi pouvaient être résolus bien des problèmes de géométrie que les Anciens avaient laissés sans réponse ; ainsi Descartes pouvait-il développer la théorie des équations algébriques, en découvrir de nouvelles propriétés, exemple remarquable de la fécondité de telles confrontations de sciences autrefois séparées. Et l’introduction dans les mathématiques des grandeurs variables (correspondant à l’étude des courbes), au lieu des grandeurs fixes dont l’étude caractérisait la mathématique ancienne, était un progrès immense : par là, comme l’a noté Engels, le mou-