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et orthodoxes, mais c’est dans les remarques que s’est, pour des raisons de prudence faciles à comprendre, développée la critique. Il expose les différentes thèses en présence, les objections, il insinue ce qu’il serait dangereux de dire ou il réfute de manière très insuffisante une objection décisive. Au fond il en arrive ainsi par le développement conséquent des principes du rationalisme cartésien à priver de tout appui dans la raison humaine les doctrines de la religion et de la métaphysique. Pour Descartes, il y avait liaison entre ces doctrines et la nature même de la raison. Bayle le dépasse, pousse plus loin la critique ; il examine les textes, confronte les opinions de telle sorte que le lecteur, auquel est laissé le soin de conclure, doit en arriver à un scepticisme critique à l’égard de la religion, mais non à l’égard de la raison et de son efficacité. Au point de vue pratique, il doit en arriver à la tolérance pour les différentes sectes religieuses, opinion d’une rare hardiesse à une époque où catholiques comme protestants rivalisaient d’intolérance, comme en témoignent les tribulations de la vie de Pierre Bayle lui-même. Le Dictionnaire, ce sera l’arsenal dans lequel les Encyclopédistes viendront chercher les armes que Bayle y a rassemblées ; ils y puiseront aussi des leçons de tactique, d’adresse pour arriver à faire triompher, malgré les pouvoirs établis, l’esprit de raison.

À côté de Bayle, nous placerons Fontenelle qui, né en 1657, à Rouen, mourut centenaire à Paris en 1757. Secrétaire de l’Académie des Sciences, mêlé intimement au mouvement scientifique, il chercha à diffuser le goût des sciences et les résultats déjà importants obtenus dans le grand public. C’est ainsi que, dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), il expose à une marquise les résultats de l’astronomie. Se promenant par une belle soirée dans un parc avec elle, il lui explique comment la terre est une planète qui tourne sur elle-même et autour du soleil. Il lui démontre que la lune est une terre habitée aussi bien que les autres planètes, que les étoiles sont autant de soleils dont chacun éclaire un monde. Par là encore est atteinte la religion, puisque ces découvertes sont en contradiction avec la Bible, en enlevant à notre Terre son rôle privilégié. Dans son Histoire des Oracles, en prétendant montrer que les prophéties antérieures au christianisme étaient des impostures, il montre en fait que toutes les prophéties sont des impostures. Et dans sa Digression sur les Anciens et Modernes, il fait un plaidoyer retentissant en faveur des « Modernes », c’est-à-dire pour la supériorité des connaissances modernes sur celles de nos prédécesseurs. Il se montre ainsi l’apôtre de l’esprit de progrès, de confiance dans la science. Il a contribué à donner à son siècle la curiosité et l’esprit scientifique.


La physique newtonienne et la science française

La diffusion en France des œuvres du grand physicien anglais Newton devait encore accroître cette curiosité jusqu’à même passionner l’opinion publique. Non content, en effet, de développer le calcul des infiniment petits, en poursuivant l’œuvre de Descartes, Pascal et Fermat, non content de donner les principes scientifiques de la mécanique, des lois du mouvement, d’expliquer les lois de