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produisent les besoins et réciproquement les besoins produisent les organes », il annonce directement Lamarck.

Et de la matière vivante à la matière pensante la transition n’est pas nette. L’âme est liée au corps de façon si étroite qu’il est difficile de dire où finit l’un et où commence l’autre ; tout ce qui influe sur l’un influe sur l’autre : maladie, poisons, sommeil du somnambule. Par là est donc démontré expérimentalement (et non par la raison pure) que pensée et matière ne sont qu’une seule et même chose. Et du fait des sciences de l’époque, ce sera là une conception mécaniste dont nous verrons l’épanouissement chez La Mettrie : « Le paysan qui voit une montre se mouvoir et qui, n’en pouvant connaître le mécanisme, place dans une aiguille un esprit, n’est ni plus ni moins sot que nos spiritualistes. »

Nous aurons plus loin l’occasion d’exposer le rôle de Diderot comme fondateur et inspirateur de l’Encyclopédie. On notera ici les caractères essentiels du matérialisme de Diderot. Son matérialisme ne pouvait être que mécaniste parce que, à cette époque, de toutes les sciences, seule la mécanique était parvenue à un certain degré d’achèvement. La chimie n’était guère sortie de l’alchimie, l’organisme végétal et animal n’avait encore été étudié que grossièrement. C’était donc une étape indispensable de la pensée, une étape d’éminent progrès, que de chercher à tout expliquer par la mécanique. C’est à ce point de vue que nous apprécions Diderot, nous admirons en lui le matérialiste convaincu qui pousse jusqu’au bout sa pensée et cherche à éliminer de tous les domaines les vestiges de la superstition et de la théologie. Et, comme l’a montré Engels, « en dehors de la philosophie proprement dite, ils[1] étaient fort capables de donner des chefs-d’œuvre de dialectique. Nous rappellerons seulement le Neveu de Rameau, de Diderot. »


D’Holbach et Helvétius

À côté de Diderot se placent tout naturellement d’Holbach et Helvétius. D’Holbach (1723-1789) était un homme fort riche, et les réceptions auxquelles il conviait ses amis le firent surnommer « le maître d’hôtel de la philosophie ». Il écrivit des articles de chimie pour l’Encyclopédie, un certain nombre de livres antireligieux (Le Christianisme dévoilé, Théologie portative), mais c’est surtout son Système de la Nature qui l’a rendu célèbre. Publié pour des raisons de prudence sous le nom d’un auteur mort depuis longtemps, il constitue un des exposés les plus méthodiques de la conception matérialiste du monde. Les autres livres d’Holbach en poursuivent les conséquences pour l’homme et le système social dont il fait partie. C’est dans l’expérience, nous explique-t-il, que nous devons rechercher les lois de la nature : « Les hommes se tromperont toujours quand ils abandonneront l’expérience pour des systèmes enfantés par l’imagination ». Puis c’est le développement de la conception scientifique du monde : l’univers ne nous offre partout que de la matière et du mouvement, mouvement qui est une façon d’être qui découle nécessairement de l’essence de la matière. C’est dans la matière et son mouvement que doit être recherchée l’expli-

  1. Les Encyclopédistes.