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écus (de Voltaire). L’Encyclopédie a repris les méthodes de Bayle : on loue les Cordeliers à l’article « Cordeliers », en même temps qu’on y renvoie à l’article « Capuchon », où l’on s’en moque. À l’article « Junon », on discute de la légende de la Vierge. Par ces subterfuges on arrivera donc à faire pénétrer la vérité partout. Ce sera la grande « machine de guerre » des philosophes.

Un des points qui doivent attirer notre attention est la part importante qui fut faite dans l’Encyclopédie à la description des divers métiers. L’essor considérable du commerce et de l’industrie donnait un intérêt accru à la connaissance et au progrès des diverses techniques. Et l’Encyclopédie devait pour la première fois faire intervenir les artisans, les ouvriers comme part essentielle de l’activité nationale. C’est Diderot surtout qui se chargea de ce travail. Il visitait les ateliers, interrogeait les ouvriers, amassait des documents, se faisait même construire des modèles de machines pour mieux pouvoir en décrire le fonctionnement. Cette relation étroite entre le progrès des sciences et le progrès des techniques mise en avant par l’« Encyclopédie » marquait une étape importante : la technique n’était plus considérée, avec le travail de l’artisan, comme quelque chose d’humble et sans intérêt, elle apparaissait comme condition de la domination de l’homme sur la Nature.


Les précurseurs de l’histoire scientifique

Mais, en étudiant l’homme et ses rapports avec la Nature, on devait infailliblement en venir à examiner l’homme dans ses rapports avec les autres hommes ; donc la Société elle-même devait être soumise à un examen critique. Déjà Montesquieu (1689-1755), président du Parlement de Bordeaux, puis ayant vendu sa charge, voyageant dans toute l’Europe pour compléter son information politique, avait abordé l’étude systématique des diverses formes de gouvernement. Dans ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, et surtout dans son Esprit des lois, c’est à une étude scientifique de la société et de son évolution qu’il entend se livrer. L’histoire des peuples, elle aussi, doit être soumise à des lois : ce n’est pas le hasard qui domine le monde. « Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent ou la précipitent. » Par là il est le précurseur de l’histoire moderne, de la conception scientifique de l’histoire, c’est-à-dire du matérialisme historique. Il cherche à préciser l’influence des conditions extérieures sur la forme de gouvernement, et « les rapports que les lois doivent avoir avec la constitution de chaque gouvernement, les mœurs, le climat, la religion, le commerce, etc. » Montesquieu avait, à peu près en même temps que Voltaire, visité l’Angleterre et en avait conçu une vive admiration pour sa forme de gouvernement, en particulier pour le régime de liberté qui contrastait avec le régime d’absolutisme de la France. Il voit une des raisons de cette supériorité dans la séparation des trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire qui servent de frein les uns aux autres. Il réclame la tolérance, la modération dans le gouvernement. Ses idées exerceront une grande influence sur la Révolution Française à ses débuts.

Voltaire, lui aussi, étudie l’histoire des sociétés. Que ce soit dans