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l’Histoire de Charles XII, le Siècle de Louis XIV, qui font de lui le premier des historiens français modernes, ou encore l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, une idée essentielle domine : montrer que l’histoire s’explique sans l’intervention de la Providence, par l’action des grands hommes et par une infinité de petits hasards également. Il s’efforce de mettre au premier plan l’histoire des peuples et non celle des princes ; il marque avec insistance les progrès des sciences, des arts, de l’industrie, et il cherche en même temps à dénoncer tous les méfaits dont il rend responsables la religion et les prêtres, ses auteurs. Une grande partie de son activité sera par la suite consacrée à lutter contre le fanatisme religieux, pour la tolérance. Il en vient à terminer toutes les lettres à ses intimes par la devise : écrasons l’infâme — l’infâme étant le fanatisme religieux, sinon toute religion constituée en église. Il frappe à coups redoublés, multiplie les brochures, qu’il désavoue aussitôt si cela est nécessaire. Son style étincelant, sa verve de polémiste inégalé font qu’on s’arrache les exemplaires, parfois simplement manuscrits, qui circulent de façon clandestine. Et d’ailleurs Voltaire ne se contente pas de batailler pour des idées : il agit pour les opprimés, pour réhabiliter la mémoire du protestant Calas, condamné et exécuté sans preuves comme le meurtrier de son fils ; il défend le chevalier de la Barre, mis à mort pour crime d’impiété. La tolérance, la liberté de pensée sont les conditions nécessaires d’une société bien organisée. Ce qui le frappe en somme, c’est le contraste qui existe entre le point où la science et la philosophie ont amené l’esprit humain et le nombre de préjugés et de superstitions qui pèsent encore sur l’homme. D’un côté, le progrès, la tolérance ; de l’autre côté, la superstition et l’intolérance. Il s’agit donc de mettre la vie sociale au niveau des progrès de la science et de la philosophie, il faut libérer l’homme des préjugés qui l’oppriment encore. C’est à cette tâche que s’est consacré Voltaire, c’est à cela qu’il doit l’immense popularité de ses écrits, de son action, de sa personne. La pensée voltairienne, telle qu’on la trouve par exemple dans le Dictionnaire philosophique portatif (1764), c’est la pensée critique qui ne respecte rien : elle exercera une influence essentielle sur la vie intellectuelle française.


J.-J. Rousseau

J.-J Rousseau (1712-1778) se révéla au public par les réponses qu’il publia à deux questions posées par l’Académie de Dijon : Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les lettres (1750) et l’Origine et les Fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754). Le progrès des sciences et des arts, explique-t-il dans le premier Discours, n’a pas amélioré les mœurs, il les a corrompues. Prenant le contre-pied de l’opinion courante, il montrait que la décadence des mœurs depuis les temps primitifs, « châtiment des efforts orgueilleux pour sortir de l’heureuse ignorance où la sagesse éternelle nous avait placés, le voile épais dont elle a couvert toutes ses opérations semblaient nous avertir assez qu’elle ne nous a point destinés à de vaines recherches ». Mais le Discours sur l’origine de l’inégalité, véritable chef-d’œuvre de dialectique d’après Marx et Engels, précisait sa pensée. « Les hommes sont méchants… Cependant l’homme est naturellement bon… Qu’est-ce donc qui peut l’avoir dépravé à ce point, sinon les changements survenus dans sa