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constitution, les progrès qu’il a faits et les connaissances qu’il a acquises ? » Ainsi le progrès de l’agriculture, le partage des terres, la propriété entraînent une inégalité due d’abord à la force et à l’adresse ; la société se divise en riches et en pauvres, mais dès lors la société ne saurait subsister. Il faut que les riches s’entendent entre eux pour assurer leurs privilèges, en instituant des lois « qui donnent de nouvelles entraves aux faibles et des forces aux riches, détruisent sans retour la liberté naturelle, fixent la loi de la propriété et de l’inégalité ».

On peut donc se poser le problème de savoir s’il n’est pas possible de formuler des conventions sociales telles que les avantages incontestables que les hommes ont de vivre en société se combinent avec ceux de l’état naturel ? Tel est le but que se propose le Contrat social, une des œuvres fondamentales de Rousseau. La société ne sera pas juste si elle obéit au droit du plus fort. Elle ne sera pas juste si elle est fondée sur la résignation du plus faible. Pour qu’il y ait justice, il faut que la convention ait lieu d’égal à égal, que ce soit un « contrat social » ; mais ce contrat une fois signé, il est sans réserves et sans retour. Il faudra appliquer le contrat.

Naturellement, l’éducation du futur citoyen doit jouer un rôle prédominant. C’est à l’éducation qu’est consacré l’Émile, qui est en quelque sorte l’application des idées de Rousseau sur la société. Élever un enfant, à cette époque, c’était sans cesse le contraindre, le redresser, le châtier. Il faudra au contraire laisser agir la nature : il apprendra à observer la nature et à raisonner sur elle ; restant tel que la nature le créa, il est bon. Rousseau montrait aux éducateurs que l’enfant doit rester autant que possible lui-même. Le succès fut énorme ; les mères cessèrent d’emmailloter leurs enfants, elles les allaitèrent. Les idées de Rousseau, son élan sentimental vers une religion naturelle devaient exercer une influence prépondérante sur les futurs révolutionnaires, sur le déroulement de la Révolution française elle-même.


Les premiers théoriciens communistes

Morelly, dans son Code de la nature (1755), se pose aussi le problème : l’homme naît bon naturellement. C’est l’organisation de la société qui le rend méchant. Comment dès lors la transformer de manière qu’il soit presque impossible que l’homme devienne méchant ? La réponse à la question est celle-ci : tous nos maux viennent de la propriété privée. « Le monde est une table suffisamment garnie pour tous les convives, dont tous les mets appartiennent tantôt à tous, parce que tous ont faim, tantôt à quelques-uns seulement, parce que les autres sont rassasiés : ainsi personne n’en est absolument le maître, ni n’a droit de prétendre l’être. » Qu’on supprime donc la propriété, qu’on fasse des lois conformes à la Nature et le monde sera heureux. Et nous voyons apparaître au début du Code de la Nature ce qui sera le principe du socialisme : « de chacun suivant ses capacités, à chacun selon son travail ». Et Babeuf se revendiquera hautement devant ses juges du Code de la Nature.

De même Mably (1709-1785) considère les lettres, les sciences, les arts, l’industrie même, comme des éléments de corruption et de