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Visage de Jacques Solomon


Quatre années déjà se sont écoulées depuis que nous avons perdu en Jacques Solomon un des jeunes hommes sur qui nous pouvions le mieux compter pour la pensée et pour l’action. Commencée sous le signe de l’intelligence, sa trop brève existence s’est achevée sous celui du courage civique.

Savant de grande classe avant vingt-cinq ans, il est mort en héros à trente-quatre ; il laisse un exemple dont beaucoup de jeunes se réclament aujourd’hui et qui restera un des plus purs.

Des liens, intellectuels d’abord, puis d’autres plus humains, se sont établis entre lui et moi ; nous avons, pendant dix ans, vécu très près l’un de l’autre. Bien des images de lui me sont restées présentes que je voudrais évoquer ici en les rattachant aux moments essentiels de sa courte et lumineuse carrière.

Je situe mon premier souvenir de lui dans le cadre pittoresque du Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences à Constantine où il avait accompagné son père, l’éminent docteur Iser Solomon, médecin, radiologiste et physicien. L’insatiable curiosité d’esprit de Jacques m’avait frappé. Son visage attentif que dominait un front puissamment modelé annonçait l’intelligence claire, profonde et souple que j’appris bien vite à aimer et qui se manifesta dès ses premiers travaux. Les problèmes les plus difficiles attiraient son esprit, comme les plus hautes cimes attiraient son corps, de petite taille, mais rendu robuste par l’alpinisme auquel il consacrait toutes ses périodes de liberté, entreprenant ainsi le bel équilibre que j’ai toujours admiré en lui. Les guides de Chamonix aimaient l’accompagner et je les ai vus souvent venir le tenter, dès que le moment leur semblait propice à quelque course nouvelle. J’aime à croire que ce goût pour la fréquentation des régions élevées, pour la sérénité des grandes idées et des vastes étendues, que le double entraînement de l’esprit et du corps ne sont pas étrangers à la force d’âme dont il a su faire preuve aux heures douloureuses.

Jacques, que l’exemple de son père et le milieu dans lequel il vivait, avaient orienté vers la médecine, et qui était externe des hôpitaux au moment de son mariage, vint habiter chez moi et commença la préparation de l’internat. Son goût pour la réflexion abstraite et la séduction des idées nouvelles lui firent abandonner bientôt pour la physique théorique la carrière médicale qu’il savait plus facile pour lui, mais qui lui semblait moins belle.

Moins de deux ans après, Jacques était docteur ès sciences avec une thèse remarquable dans laquelle il résolvait un des