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problèmes les plus difficiles de la théorie quantique des champs. Puis ce fut, en sept ou huit ans, une succession continue de travaux, plus de quarante notes ou mémoires, couronnés en 1939 par la publication dans un important volume, du cours Peccot dont il avait été chargé l’année précédente au Collège de France.

Pendant cette période, il participa de la manière la plus active à la vie scientifique si intense, soit ici, soit à l’étranger, passant successivement, pour étudier ou pour enseigner, à Copenhague, à Zurich, à Berlin, à Londres, à Cambridge, à Kharkow, à Moscou, entraînant Hélène avec lui et nouant des relations de travail ou d’amitié avec les représentants les plus éminents de la physique théorique en Europe, Bohr, Pauli, Rosenfeld, Møller, Félix Bloch, Klein, Fowler, Mott, Peierls, Plessett, Guido Beck, et bien d’autres dont je revois les visages près du sien.

La guerre interrompit cette activité féconde, mais Jacques la reprit dès sa démobilisation en 1940 et la continua même au cours de sa vie clandestine. Ce sont les problèmes du rayonnement stellaire qui l’occupent alors et je me rappelle lui avoir envoyé de Troyes, peu de temps avant son arrestation, un volume du récent Congrès d’Astrophysique sur les supernovæ.

Le devoir qu’il avait reconnu au savant, et qu’il a su remplir jusqu’au sacrifice, de s’intéresser aux problèmes humains, politiques et sociaux, l’avait conduit, suivant d’abord son goût pour la pensée abstraite, vers la philosophie. Avec son exceptionnelle facilité de travail, il avait lu et assimilé les œuvres des grands auteurs, depuis Descartes jusqu’à Hegel, Marx, Engels et Lénine.

J’ai souvenir d’avoir, au cours de longues soirées, bénéficié de l’effort qu’il avait ainsi fourni et avoir mieux compris, grâce au matérialisme dialectique dont il était maître, l’évolution de la science que nous aimions tous deux. Je le revois aussi, à la veille de Munich, pendant les vacances de 1938, dans le chalet où, au pied du glacier des Bossons, entre deux courses de montagne, il travaillait à la traduction d’un livre d’Engels avec Georges Politzer qui fut, dans la pensée et dans l’action, son compagnon jusqu’à la mort.

Sur le plan de la pensée, ce travail commun les conduisit à s’occuper d’économie politique et d’autres questions d’importance sociale que Jacques, sans que son travail personnel parût en souffrir, consacra beaucoup de temps à présenter dans des articles accessibles au grand public.

En même temps, depuis son retour de Berlin, où il avait, en 1933, assisté à la tragique prise de possession du pouvoir par les nazis, il participa de manière active à l’action politique et à la lutte contre le fascisme, voyant avec lucidité venir la catastrophe et s’efforçant avec nous de la conjurer.

Après avoir éprouvé ensemble les émotions de ces années dramatiques, la surprise du 6 février, les espoirs du Front populaire, les hontes de la non intervention en Espagne et de la trahison de Munich, nous fûmes séparés par la mobilisation de 1939 qui incorpora Jacques, en souvenir de ses études de méde-