Page:Soloviev - L'Idée russe.djvu/15

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évêques grecs qui le baptisèrent ; car ces évêques ne réussirent qu’à force d’arguments spécieux à persuader ce prince, naguère si sanguinaire, à infliger la peine capitale aux brigands et aux assassins : « J’ai peur du péché, » disait-il à ses pères spirituels. Et puis, quand à ce « beau soleil », — c’est ainsi que la poésie populaire surnomma notre premier prince chrétien, — quand à ce beau soleil qui illumina les débuts de notre histoire succédèrent des siècles de ténèbres et de troubles ; quand après une longue suite de calamités, refoulé dans les froides forêts du Nord-Est, abruti par l’esclavage et la nécessité d’un rude travail sur un sol ingrat, séparé du monde civilisé, à peine accessible même aux ambassadeurs du chef de la chrétienté[1], le peuple russe tomba dans un état de barbarie grossière relevée par un orgueil national stupide et ignorant ; quand, oubliant le vrai christianisme de saint Vladimir, la piété moscovite s’acharna à des disputes absurdes sur des détails rituels et quand des milliers d’hommes étaient envoyés au bûcher pour avoir trop tenu à des erreurs typographiques dans des vieux livres d’église, soudainement de ce chaos de barbarie et de misères surgit la figure colossale et unique de Pierre le Grand. Rejetant le nationalisme aveugle de la Moscovie, pénétré d’un patriotisme éclairé qui voit les vrais besoins de son pays, il ne s’arrête devant rien pour imposer à la Russie

  1. V. l’étude intéressante du P. Pierling, Rome et Moscou, 1547-1579.