Page:Soloviev - L'Idée russe.djvu/26

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Que veut dire un aveu semblable ? demande Aksakov : que la moitié des membres de l’Église orthodoxe n’y appartient qu’en apparence, que ces hommes ne sont retenus dans son sein que par la crainte des peines temporelles. Tel est donc l’état actuel de notre Église ! État indigne, affligeant et affreux ! Quelle surabondance de sacrilèges dans l’enceinte sacrée, de l’hypocrisie qui remplace la vérité, de la terreur au lieu de l’amour, de la corruption sous l’apparence d’un ordre extérieur, de la mauvaise foi dans la défense violente de la vraie foi, quelle négation, dans l’Église même, des principes vitaux de l’Église, de toute sa raison d’être, le mensonge et l’incrédulité là, où tout doit être, vivre et se mouvoir par la vérité et la foi… Cependant le danger le plus grave ce n’est pas que le mal a pénétré dans le milieu des croyants, c’est qu’il y a reçu droit de cité, que cette position de l’Église est créée par la loi, qu’une anomalie semblable n’est qu’une conséquence nécessaire de la règle acceptée par l’État et par notre société elle-même[1].

En général, chez nous en Russie, dans les choses de l’Église, comme dans les autres, c’est l’apparence, le decorum qu’on tient surtout à garder, et cela suffit à notre amour pour l’Église, à notre amour paresseux, à notre foi fainéante. Nous fermons volontiers les yeux et, dans notre crainte puérile du scandale, nous nous efforçons de cacher à nos propres regards ainsi qu’à ceux du monde entier le grand mal qui sous un voile convenable dévore comme un cancer la substance vitale de notre organisme religieux[2].

Nulle part ailleurs on n’a la vérité tellement en horreur que dans le domaine de notre gouvernement ecclésiastique, nulle part ailleurs la servilité n’est plus grande que dans notre hiérarchie spirituelle, nulle part « le mensonge salutaire » n’est appliqué sur une échelle plus large que là où tout mensonge devrait être abhorré. Nulle part ailleurs on n’admet, sous le prétexte de

  1. Œuvres complètes d’Ivan Aksakov, tome IV, p. 91.
  2. Ibid., p. 42.