Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/10

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œuvre de la maturité du poète et elle se place à côté de son Antigone[1]. Pour d’autres enfin l’auteur était vieux quand il l’a composée et sur son déclin[2]. On a même prétendu que les Trachiniennes n’étaient pas de Sophocle[3]. Après toutes ces contradictions, — qui n’inspirent pas une grande confiance dans les méthodes de nos investigations modernes, — on semble revenu aujourd’hui à une idée plus raisonnable : la pièce est bien de notre poète, mais elle est un peu indécise, disons le mot, imparfaite. Il importe d’en préciser la cause, d’autant plus qu’elle contribue à nous faire entrevoir à quelle époque la tragédie a pu être écrite.

Cette imperfection réside principalement dans la juxtaposition de deux éléments inconciliables, parce qu’ils sont d’un âge trop différent. Une seule scène suffit à le faire comprendre. Au début du drame Déjanire est seule avec une esclave qui a toute sa confiance, puisqu’elle a été la nourrice de ses enfants. Elle parle devant le palais de Céyx : cela est imposé au poète, parce qu’il faut que nous entendions ses confidences, qui servent de prologue à la pièce. Supposons que Déjanire soit à l’intérieur du palais : elle ne changerait pas une syllabe à ses paroles. Nous serions alors dans un gynécée du vᵉ siècle, milieu simple, familial et doux. L’épouse d’Héraclès parle de sa jeunesse déjà lointaine, des épreuves de sa vie qui n’a pas toujours été sans inquiétudes, ni sans chagrins. Mais quand elle rappelle celui qui fut son premier prétendant, Achélôos, elle nous confie, entre autres choses, qu’il avait une tête de bœuf et que de son menton barbu jaillissaient des sources d’eau vive[4]. Ce détail, naturel dans la légende, est choquant dans son récit. Au temps de Sophocle, dans la vie quoti-

  1. Th. Zielinski, Exkurse zu den Trachinierinnen, Philologus, 1896, p. 491-540, 677-633.
  2. Bernhardy, Grundriss der griech. Litteratur, II, 2, p. 371.
  3. Cf. Patin, Sophocle, p. 8 et Jebb, Introduction de ses Trachiniae, p. IX, qui citent l’un et l’autre A. W. Schlegel. Mais qui lit aujourd’hui Schlegel ?
  4. Trach. 13 sq.