avec surprise, émotion. Tout à coup Déjanire disparaît et Héraclès, d’abord silencieux, est apporté sur une civière. Sa souffrance ne tarde pas à devenir bruyante. Brusquement nous voilà rejetés en une époque très lointaine : nous ne comprenons plus.
D’autant plus que même dans la transcription de cette réalité certains traits nous déconcertent un peu. Si bien doué qu’on soit, arrive-t-on toujours du premier coup à l’exactitude précise ? Quand Déjanire instruite de la passion de son époux pour Iole déclare, puisqu’elle est contrainte d’héberger sa rivale, qu’elles seront maintenant deux femmes à attendre, sous la même couverture, l’amour d’Héraclès[1], la brutalité voulue de son expression nous paraît déplacée. Elle nous habitue ailleurs à une réserve plus grande[2]. Est-ce la jalousie qui la fait cette fois parler si crûment ? Mais d’ordinaire les femmes, même les plus passionnées, savent envelopper les choses. Et ne nous dit-elle pas qu’elle n’a aucune irritation contre son mari, qu’elle est habituée à ses infidélités, qu’elles sont d’ailleurs communes à tous les hommes[3], qu’Héraclès seulement les multiplie plus que personne[4] ? Rien n’a échappé à son regard lucide : elle voit tout, sait tout, ne s’indigne point, n’élève pas la voix[5]. Pourquoi cette exception ? Mais le poète n’aurait-il pas ici, par mégarde, fait parler Déjanire, comme l’aurait pu faire Héraclès ?
Ce dernier, on le conçoit, n’est habitué à la modération ni dans son langage, ni dans ses actes. Mais justement parce que mieux que lui nous connaissons Déjanire, et que
- ↑ Trach. 539 sq. Il n’est guère possible de traduire en français, sans l’atténuer, le mot ὑπαγκάλισμα. Or, Déjanire est la plus chaste des femmes. — Cf. Eurip. Cycl. 498 où le verbe ὑπαγκαλίζειν est employé, comme il convient, par le chœur des satyres. — Dans les Troyennes, 757 le mot ὑπαγκάλισμα a un sens atténué : il est dit de l’enfant que couve l’amour maternel.
- ↑ Trach. 562 sqq.
- ↑ Trach. 439 sq.
- ↑ Trach. 459 sq.
- ↑ Trach. 540 sqq., 552 sq.