Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/143

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SCÈNE V.
ŒDIPE, IPHICRATE, PHORBAS.
IPHICRATE.
Seigneur, voilà celui qui vous mit en mes bras,

Permettez qu’à vos yeux je montre un peu de joie.
Se peut-il faire, ami, qu’encor je te revoie !

PHORBAS.
Que j’ai lieu de bénir ton retour fortuné !

Qu’as-tu fait de l’enfant que je t’avais donné ?
Le généreux Thésée a fait gloire de l’être,
Mais sa preuve est obscure, et tu dois le connaître ;
Parle.

IPHICRATE.
Ce n’est point lui, mais il vit en ces lieux.


PHORBAS.
Nomme-le donc de grâce.


IPHICRATE.
Il est devant tes yeux.


PHORBAS.
Je ne vois que le roi.


IPHICRATE.
C’est lui-même.


PHORBAS.
Lui-même !


IPHICRATE.
Oui le secret n’est plus d’une importance extrême ;

Tout Corinthe le sait : nomme-lui ses parents.

PHORBAS.
En fussions-nous tous trois à jamais ignorants !


IPHICRATE.
Seigneur, lui seul enfin peut dire qui vous êtes.


ŒDIPE.
Hélas ! je le vois trop et vos craintes secrètes

Qui vous ont empêché de vous entr’éclaircir,
Loin de tromper l’oracle, ont fait tout réussir.
Voyez où m’a plongé votre fausse prudence,
Vous cachiez ma retraite, il cachait ma naissance ;
Vos dangereux secrets par un commun accord
M’ont livré tout entier aux rigueurs de mon sort.
Ce sont eux qui m’ont fait l’assassin de mon père.
Ce sont eux qui m’ont fait le mari de ma mère.
D’une indigne pitié le fatal contre-temps
Confond dans mes vertus ces forfaits éclatants ;
Elle fait voir en moi par un mélange infâme
Le frère de mes fils et le fils de ma femme ;
Le ciel l’avait prédit, vous avez achevé,
Et vous avez tout fait quand vous m’avez sauvé.

PHORBAS.
Oui, seigneur, j’ai tout fait, sauvant votre personne,

M’en punissent les Dieux si je me le pardonne !


SCÈNE VI.
ŒDIPE, IPHICRATE.
ŒDIPE.
Que n’obéissais-tu, perfide ! à mes parents

Qui se faisaient pour moi d’équitables tyrans ?
Que ne lui disais-tu ma naissance et l’oracle,
Afin qu’à mes destins il pût mettre un obstacle ?
Car, Iphicrate, en vain j’accuserais ta foi,
Tu fus dans ces destins aveugle comme moi,
Et tu ne mj’abusais que pour ceindre ma tête
D’un bandeau, dont par là tu faisais ma conquête.

IPHICRATE.
Seigneur, comme Phorbas avait mal obéi,

Que l’ordre de son roi par là se vit trahi,