Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/32

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À toi comme à son père elle en devra l’hommage ;
Sauve-la tout à fait, achève ton ouvrage.
Déjà tu t’es montré sous un auspice heureux,
Ne va point démentir ce qu’attendent nos vœux.
Lorsque Thèbe est peuplée, heureuse et florissante,
Qu’on y trouve une armée, une flotte imposante,
Œdipe, c’est alors qu’il est plus beau pour toi
D’y voir ton sceptre aimé, de t’y montrer en roi.

ŒDIPE.
Pour moi, tous vos malheurs sont loin d’être un mystère,

Mes enfants, vous cherchez mon appui salutaire ;
Votre état m’a touché, je sais quels sont vos vœux ;
Mais celui dont le sort est le plus rigoureux
Est-il autant en butte aux coups de l’infortune
Que son roi consterné ? La douleur importune
À chaque citoyen fait sentir ses effets,
Mais des malheurs de tous sur moi pèse le faix.
Sur la cité, sur vous, mon cœur gémit et veille[1] ;
Ma prudence jamais, ô Thébains, ne sommeille.
Mes yeux se sont changés en deux sources de pleurs,
Je me consume en soins pour tarir vos douleurs.
Je viens d’avoir recours à l’unique remède
Qui, dans ces maux affreux, pût venir à notre aide :
Créon, qui m’appartient par les liens du sang,
Pour Delphes est parti : d’un Dieu juste et puissant
Sans doute il obtiendra le secours tutélaire,
Et nous pourrons sauver une cité si chère !

  1. Sophocle dit : « De sorte que, certes, vous ne me réveillez pas, dormant d’un sommeil. » On se rappelle ici l’expression hardie de Bossuet : « Dormez votre sommeil, grands de la terre ! » Ma prudence, dit Œdipe, ne s’endort point sur ce qui vous touche ; vos cris ne l’ont pas réveillée. C’est là sans doute le sens délicat qui a échappé à beaucoup d’interprètes. Orsatto Giustiniano a suivi le sens que nous avons adopté. La traduction vulgaire est ridicule : « Ne croyez pas que vos cris m’aient éveillé. »