Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/45

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Qu’aucun Thébain ici n’accueille le perfide,
Soit aux libations, soit aux autels pieux[1],
Où nous tous en commun sacrifions aux Dieux !
De ses foyers partout que l’habitant paisible
De la contagion chasse la cause horrible !
L’oracle d’Apollon a, sans obscurité,
Déclaré que telle est sa sainte volonté.
De Laïus et du Dieu la cause m’est trop chère,
Pour ne point la servir d’un pouvoir tutélaire.
Ah ! puisse le coupable, aux mortels en horreur,
Contre lui des destins épuiser la fureur !
Puisse-t-il, odieux, en proie à l’infamie,
Trainer dans les tourments sa misérable vie !
Qu’il ait quelque complice ou soit seul criminel,
Qu’il soit voué partout au sort le plus cruel !
Fût-il ami, parent, hôte admis à ma table,
Que ces vœux menaçants atteignent le coupable !
C’est vous, Thébains, à qui je donne mission,
Tant pour vos intérêts que pour ceux d’Apollon,
D’exécuter cet ordre, afin que Thèbe entière,
Qu’un sort affreux tourmente, échappe à sa misère.
Quand les Dieux vous auraient épargné ces malheurs,
La cendre d’un bon roi réclamait des vengeurs.
Je suis son successeur dans sa noble patrie,
Je possède sa couche et sa femme chérie[2],

  1. De ces libations qu’on versait sur la terre ou sur le front de la victime, comme on le voit pratiqué dans Homère, dont Sophocle a imité les expressions. Il y eut ensuite un autre usage, qui était exprimé dans les mêmes termes, et consistait à se servir ensuite de cette eau lustrale, pour arroser et purifier les assistants. (V. Athénée, liv. IX.)
  2. Œdipe parle sans le savoir de lui-même, c’est-à-dire du fils de Laïus. Damier blâme à propos un scholiaste qui trouvait ces sortes de pensées peu nobles. On ne pourrait guère reprendre, dans ce passage de Sophocle, que l’épithète όμόσπορος, de même semence, intraduisible d’ailleurs en français. Toutes les autres pensées sont très-belles et fort propres aux mouvements du théâtre. Euripide en est plein, tandis que l’auteur d’Œdipe les emploie sobrement et uniquement pour émouvoir.