Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/92

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De ce bonheur qu’inspire une mère chérie,
Un père respecté !

LE BERGER.
Quoi ! sans autre raison,

Tu quittas tes parents, Corinthe, ta maison ?

ŒDIPE.
Je voulais éviter d’assassiner mon père.


LE BERGER.
Je viens te délivrer d’une tristesse amère,

Prince, et d’un tel bonheur je suis ravi vraiment[1] !

ŒDIPE.
Ton service sera reconnu dignement.


LE BERGER.
Et voilà le sujet qui dans Thèbes m’amène ;

Ta générosité, seigneur, j’y crois sans peine[2],
Se verra, quand rentré dans Corinthe...

ŒDIPE.
Jamais !

Je crains de m’y souiller du plus noir des forfaits.

LE BERGER.
Tu montres, ô mon fils ! une ignorance entière[3]

De ton sort...

  1. On voit ici le principe du dénoûment qu’Aristote, chapitre IX de sa Poétique, cite comme un des plus surprenants. Rien en effet de mieux imaginé. Pour rendre encore la péripétie de cette scène plus admirable, le poète fait en sorte que le moyen qu’on emploie pour rassurer Œdipe, est précisément celui qui lui dévoile tout son malheur.
  2. Cette naïveté, qui fait sourire, est conforme au langage et aux idées que Sophocle prête à des gens de cette classe, dont les compliments sont assez souvent intéressés.
  3. O mon fils ! ὧ παῖ, ô enfant ! Les poètes tragiques mettent souvent cette expression familière dans la bouche des vieillards, quand ils s’adressent à des personnes encore jeunes, fût-ce même aux rois. Cette formule de tendresse a quelque chose d’antique, qui montre la considération dont jouissait alors la vieillesse. Elle nous révèle un caractère plus élevé dans les personnages qui emploient un pareil langage : au reste, il est aisé de voir qu’il y a ici une suspension, et que cette réponse du messager doit se lier à celle qui suit.