Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/148

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ORESTE.

Tout bon devin que tu sois, tu t’abusais depuis longtemps.

ÉGISTHE.

Ah ! misérable, je suis perdu ! mais permets-moi de te dire au moins quelques mots.

ÉLECTRE.

Au nom des dieux, mon frère, ne lui permets point de parler encore, ni de prolonger l’entretien ; car qu’importe à un homme tombé dans le malheur, et sur le point de mourir, le délai de quelques moments ? Mais frappe-le sur-le-champ, et abandonne loin de nos yeux son cadavre aux sépulcres[1] qui lui conviennent ; car c’est là l’unique soulagement de mes longues douleurs.

ORESTE.

Entre au plus tôt ; il n’est plus question de discourir, mais il s’agit de ta vie.

ÉGISTHE.

Pourquoi me conduire dans l’intérieur du palais ? Si ton action est belle, qu’as-tu besoin des ténèbres ? Que ne frappes-tu à l’instant ?

ORESTE.

Ne parle plus en maître ; mais viens là où tu as tué mon père, c’est dans le même lieu que tu dois mourir.

ÉGISTHE.

Est-il donc de toute nécessité que ce palais soit témoin des maux présents des Pélopides, et de ceux qui les attendent dans l’avenir[2] ?

ORESTE.

Toi, du moins ; voilà ce que je te prédis à coup sûr.

ÉGISTHE.

Au moins, ce n’est pas de ton père que tu tiens cet art dont tu te vantes[3] !

  1. Les oiseaux de proie et les chiens.
  2. Égisthe cherche à l’arrêter par de sinistres prédictions.
  3. Allusion amère au meurtre d’Agamemnon, tombé lui-même dans un piège.