Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/170

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TIRÉSIAS.

Tu me reproches des paroles irritantes, mais tu ne vois pas ce qui chez toi irrite les autres, et pourtant tu m’outrages[1].

ŒDIPE.

Et qui ne s’irriterait d’entendre un tel langage, et du mépris que tu montres pour cette cité ?

TIRÉSIAS.

Ce fatal secret se révélera de lui-même, malgré le silence dont je le couvre.

ŒDIPE.

Si donc il doit se révéler, il est bien juste que tu me le dises à moi-même.

TIRÉSIAS.

Je n’ajouterai pas un mot. Après quoi, livre-toi aux accès de ta farouche colère.

ŒDIPE.

Eh bien ! oui, tant je suis en colère, je n’omettrai rien, de tout ce que je pense. Sache donc que tu me parais avoir conçu comme la pensée du crime, et l’avoir accompli, si ce n’est que ta main n’a pas porté le coup ; et si tu n’étais privé de la lumière, je t’accuserais de l’avoir commis à toi seul.

TIRÉSIAS.

Vraiment ? et moi je t’ordonne de te conformer à l’arrêt que tu as prononcé, et dès ce jour de ne parler ni à moi, ni à aucun des Thébains, car tu es l’impie qui souille cette terre.

ŒDIPE.

Oses- tu bien proférer des paroles si imprudentes ? et crois-tu échapper au châtiment qu’elles méritent ?

TIRÉSIAS.

J’y échappe, car j’ai en moi la force de la vérité.

  1. Il y a dans les paroles de Tirésias une ambiguïté qui n’est pas sans intention. Les mots τὴν σὴν δ´ ὁμοῦ ναίουσαν, tout en signifiant l’irritation causée par les reproches d’Œdipe, peuvent s’entendre aussi de son épouse, qui est en même temps sa mère. C’est ce qu’a bien vu Eustathe, p. 735, etc., (ou p. 656, 44).