Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/174

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sont dans les enfers[1]. Armée d’un double fouet, la malédiction de ta mère et de ton père, déesse à la marche terrible[2], te rejettera de cette contrée, et si tu vois clair maintenant, bientôt tes yeux ne verront que les ténèbres[3]. Quel asile ne retentira pas de tes cris ? Quel antre du Cithéron ne les répétera pas, lorsque lu connaîtras l’hymen fatal, écueil où est venu échouer ton bonheur[4] ! Tu ne sais pas l’orage de maux qui fondra sur toi, et qui, en te montrant qui tu es, te rendra l’égal de tes enfants[5]. Maintenant donc déchaîne tes outrages contre Créon et contre mes paroles ; car jamais nul mortel ne sera plus misérablement que toi accablé par le sort.

ŒDIPE.

Est-il donc possible de supporter ces outrages d’une telle bouche ? Malédiction sur toi ! Ne partiras-tu pas au plus tôt ? Ne t’éloigneras-tu pas enfin de ces lieux ?

TIRÉSIAS.

Je ne serais point venu, si tu ne m’avais appelé.

ŒDIPE.

C’est que je ne savais pas que tu tiendrais des discours insensés, autrement je ne me serais pas pressé de te faire venir dans mon palais.

TIRÉSIAS.

Voilà donc ce que je suis, à ce qu’il te semble, un insensé ; mais les parents qui t’ont donné le jour me jugeaient raisonnable.

  1. Allusion à Jocaste d’abord, puis à Laïus.
  2. Δεινόπους, « aux pieds terribles. » Dans Électre, v. 491, Χαλκόπους Ἐρινύς, « la Furie aux pieds d’airain.»
  3. Cette expression « voir les ténèbres » se retrouve plus bas, v. 1173, et dans les Phéniciennes d’Euripide, v. 377 ; dans les Bacchantes, v. 510.
  4. Littéralement : « l’hymen dans lequel (comme sur une mer sans port) tu as navigué dans ta maison. » Révélation obscure pour Œdipe, mais claire pour le spectateur.
  5. Littéralement : « te rendra égal à toi-même, et égal à tes enfants. » Tirésias, dans ces paroles obscures, veut laisser entendre qu’Œdipe se reconnaîtra parricide, incestueux et frère de ses enfants.